Le 10 avril 2020, alors que le monde tourne toujours mais que la vie s'est
arrêtée depuis près d'un mois. Outre-Atlantique, c'est Local H qui nous sort son 9ème album Lifers, et chez nous c'est le trio parisien Fátima, qui nous sort son 2ème opus
intitulé "Turkish Delights". Enregistré live avec un son capturé à "la volée",
comme de bonnes vieilles démos des '80s/'90s, qui nous fait remonter de très bons souvenirs avec nos compils faites maison, à partir de bootlegs sur nos bonnes vieilles K7. Avec ce deuxième album, chargé en
sonorités quelques peux expérimentales, avec des effets sonnant parfois comme de la
musique orientale, le groupe vous ramènera à l'essence même d'une musique brute
de décoffrage, dépouillée de tout arrangement sur consoles de mixages, ou autres logiciels ultra sophistiqués. Le mois dernier, nous avons eu la chance de les avoir pour une interview
exclusive, afin d'en savoir un peu plus sur ce très bon 2ème album que tous les fans de
grunge ou de doom devraient posséder.
RAN : Salut les gars comment allez vous ?
Il fait chaud, on est masqués, mais depuis le déconfinement on a jamais autant
répété et c’est le pied !
Votre dernier album en date "Turkish Delights" est sorti le 10 avril dernier,
et a été plutôt bien accueilli, autant par les fans que par la presse. Est-ce
que vous vous attendiez à un tel accueil ?
On a vraiment fait cet album dans notre coin entre potes et surtout par
passion. On y a mis tout ce qui nous plaisait, nos délires et nos références.
On pensait plus que l’album resterait dans un cercle restreint de potes et sur
la cheminée des grands parents à côtés de la photo du chien (comme pour le
premier album). Donc non, on ne s’y attendait pas du tout. C’était plutôt une
surprise qu’on s’intéresse à cet album !
Pensez-vous que ce foutu Covid a joué aussi un rôle sur l'accueil de ce second opus ?
Avec du recul, on pense que le covid a eu un effet positif sur l’album. On a
failli reporter la sortie comme beaucoup de groupes. Mais cela faisait trop
longtemps qu’on attendait ça. Finalement on a décidé de le sortir avec les
gars du label ( le 10 avril, qui sans le savoir, était le jour de l’ascension ) ! On s’est aperçu qu’on était presque les seuls à sortir un album à cette
période. Du coup, on a eu un boulevard et beaucoup de monde avait du temps
pour écouter de la musique avec le confinement. C’est un pur coup de bluff et
un alignement des planètes qui ne se reproduira sûrement pas !
En tout cas, moi, ce que je retiens de cette période de confinement en
France, de mars à mai 2020, c'est le clip de Patròn: "Who do you dance for",
la reprise de Antisocial de Trust par les Fastened Furious et votre album
...
Ah bah ça fait chaud au coeur ! On ne connaît ni Patròn ni Fastened Furious
mais on va écouter ça ! De notre côté le confinement aura au moins permis
d’écouter les singles de deux futurs albums qu’on attend beaucoup : « Three
Mile Ditch » qui sortira en octobre et le second album acoustique de Buzz
Osbourne « Gift of Sacrifice » qui sortira le 14 Août. Il y a aussi nos potes
de SEUM (trois français expatriés à Montréal qui font du Doom ; et de CERBÈRE (un tout nouveau
groupe de doom / black de Paris) qui nous ont permis de jeter une oreille à
leurs prochains albums en exclu, et c’est bien gras des deux côtés ! On a hâte
qu’il sortent tout ça dans les mois qui viennent pour que tout le monde puisse
en profiter !
1 mois après la sortie de "Turkish Delights", vous avez sorti une cover du
Quiet Room des Pagan Babies. Vous l'aviez déjà en stock cette cover ou est-ce
que vous l'avez enregistrée récemment ?
Oui, cela s’est fait après la sortie de Turkish Delights. Ce n’était pas du
tout prévu. Pendant le confinement, faute de pouvoir répéter, on s’envoyait
beaucoup de musique entre nous. Dans le lot, il y avait une vieille reprise
des Pagan Babies qu'Antoine avait faite il y a presque 10 ans quand le groupe
s’appelait Crabs. On s’est amusé à la refaire pour nous occuper. Après
quelques prises à l’arrache avec un pc et un téléphone, on trouvait le
résultat pas si dégueu. On a décidé de la sortir en bonus avec une pochette
faite par Antoine.
Votre nouvel opus a été enregistré live, avec très peu de prises pour garder
l'essence même de vos compos …
On a passé 5 jours à la Ferme Électrique dans le 77 (super endroit !) pour
enregistrer tout l’album d’une traite. Notre premier album avait été
enregistré sur une plus longue période à raison de 2-3 morceaux par week-end,
là où ce second album a un son beaucoup plus hétérogène entre les morceaux.
Vincent nous a proposé de refaire cette méthode de travail qu’on avait déjà
faite sur le premier album. Le résultat permet de garder l’esprit concert avec
l’énergie live. Le but est que lorsque les gens viennent en concert, ils
retrouvent un son qui se rapproche de celui de l’album contrairement aux
superproductions qui marchent moins bien en live.
Entre l'enregistrement début 2019 et la sortie de l'album en avril, il s'est
passé 1 an. Que s'est-il passé pendant cette année ?
Il s’est passé beaucoup de chose. On a d’abord beaucoup joué en Île de
France, mais aussi ailleurs. On a aussi peaufiné l’album jusqu’au bout avec le
mix, le master, la pochette et trouver un label. Mine de rien cela nous a pris
un an. On a eu énormément de refus de labels ! On nous disait, c’est « trop
heavy », « pas assez produit », « pas assez à la mode », « vous n’avez pas
assez de like », et je ne sais pas quoi ! C’était tout ce qu’il y avait
d’emmerdant dans la musique, à savoir le côté market et com qui consiste à
vendre un produit plutôt qu’une musique. Aujourd’hui, il faut d’abord prendre
des photos, avoir un compte Instagram avec 3000 followers et avoir fait une
école de communication pour signer sur un label avant même d’avoir fait de la
musique et des concerts. C’est bien triste. On a finalement eu la chance de
rencontrer Musikoeye avec qui on partage un certain rapport à la musique et
qui nous a donné carte blanche aussi bien sur le mix, la pochette etc..! Et
puis sur ce laps de temps il se trouve qu’on a eu le temps de composer un
troisième album quasi prêt pour une nouvelle session d’enregistrement !
Perfection c’est pas sûr, mais crade et brut ça nous réussit plutôt bien !
Oui c’est probablement ce qui plaît le plus, en se mariant bien aux compos que
l’on joue. Que se soit en répète, sur scène ou lorsqu’on enregistre, on prend
notre pied parce qu’on est « nous », totalement lâchés, dans nos instincts,
aucun carcan et tout à l’humeur. Si le son est bien réglé avec de bons
retours, plus un quotidien qui nous en met gros sur la patate, et plus on se
déchaîne. Aussi on ne pouvait tout simplement pas mettre 2000 balles pour
sortir cet album sur vinyle. On est complètement amateurs et la thune qu’on met
là dedans c’est celle de nos économies perso, donc plutôt limitée. On a donc
fait au mieux avec les moyens qu’on avait. L’album n’est pas sorti en vinyle
parce que ça coûte une blinde. On n'avait pas les moyens! Même si on adorerait
avoir notre vinyle. Cela va aussi dans la production. Idem, on ne pouvait pas
se payer un mois de studio avec jacuzzi. Il fallait être efficace avec le peu
de temps dont on disposait.
Avoir un son comme ça est vraiment énorme, ça nous renvoie un peu dans des
démos des groupes de grunge de la fin des '80s …
Ce qui est sûr c’est qu’on partage avec Vincent un goût prononcé pour le son
des enregistrements de Jack Endino de la fin des années 80’s 90´s. L’exemple
le plus connu étant Bleach, mais il y a aussi le premier Album de TAD (God’s
Balls) un Ep de Hole, du Mudhoney etc… Et Vincent a une méthode et une
approche d’enregistrement brute similaire à Endino, ou Steve Albini, c’est à
dire ne pas surgonfler le son en post prod, ne pas faire 25 couches de
guitares, peu ou ne pas doubler le chant et enregistrer le morceau en prise
live. Et tant pis si ça flottouille et si on accélère sur le deuxième couplet,
tant que l’énergie est là. En fait on ne saurait pas trop s’y prendre
autrement maintenant. Du piste par piste serait un défi pour nous. On
essayera peut être si on le sent comme ça pour tel ou tel morceau avec
Vincent. Mais pour l’instant notre méthode habituelle nous va bien.
Vous bossez avec Vincent Grégorio pour l'enregistrement, depuis vos débuts.
Peut-on le considérer comme le 4ème membre du groupe ?
Oui clairement ! On connaît Vincent depuis un moment maintenant. Depuis le
début on enregistre avec lui. C’est toujours génial. Les sessions se passent
simplement. Il n'y a pas de prise de tête et il apporte beaucoup de choses au son
! On lui fait totalement confiance sur la manière dont il procède pour
enregistrer. On se prend vite au jeu de la prise live avec son côté forcément
frustrant en disant qu’on aurait toujours pu faire mieux. On ne voudrait pas
forcément enregistrer avec quelqu'un d’autre, par crainte que le courant ne
passe pas ou qu’on ne se comprenne pas. Et surtout Vincent a sa patte à lui
qu’on reconnaît sur ses productions et c’est très rare! Certains trouvent
qu’on gagnerait à avoir un son plus surproduit et net, plus « Doom » et plein
d’infrabasses. Je ne sais pas trop, on aime bien ce côté naturel et organique
et pas gonflé au botox que Vincent insuffle dans le son studio. Quand on
enregistre, Vincent est l’alchimiste qui fait que le mélange des potions
fonctionne.
Est-ce que vous êtes un groupe de grunge ou de doom ? Ou les 2 ?
Disons les deux, même si on ne sera jamais assez drogués ni assez originaires de la région de Seattle pour prétendre faire du « grunge » et jamais assez
lourds et lents et constamment versés dans l’imagerie occulte pour vraiment
prétendre faire du Doom ! C’est sûr qu’on entend sûrement plus clairement nos
emprunts à Black Sabbath, Electric Wizard, les Melvins, Nirvana et Babes in Toyland, que ceux faits aux Cure, à la Soundtrack de Donkey Kong country, à
Warpaint et à System of a Down j’imagine ! Plus sérieusement arrivés en 2020,
les genres et sous genres sont tellement variés que ça en devient parfois
hermétique et imbitable. Surtout pour trouver des dates lorsque tu débute et
que ton style n’est pas immédiatement identifiable.
Remontons au tout début de votre histoire, comment est né Fatima ?
On s’est rencontré au moment du lycée dans le 91, il y a maintenant une
quinzaine d’années. On a d’abord commencé à jouer dans notre coin puis au fur
et à mesure on a monté un groupe. Le premier s’appelait Crabs. C’était du
grunge avec une touche de folk en plus, moins énervé que Fatima en fait ! On a
fait nos premières compos avec ce groupe. Après quelques années et 6 mois de
pause, on a décidé de créer un nouveau groupe toujours tous les trois, c’était
Fátima.
Quel est l'origine du nom du groupe ?
Cela vient d’un simple voyage au Portugal pendant des vacances d’été. La
ville de Fatima est un lieu de pèlerinage. Trois bergers auraient vu la
vierge. Celle ci aurait dicté trois secrets... On trouvait que cette référence
collait bien à l’ambiance de notre musique assez cryptique et puis Fa-ti-ma
c’est trois syllabes qui sonnent bien !
Quels ont été les premiers groupes qui vous ont donné envie de faire de la
zik ?
Les groupes qui nous ont donné envie de monter un groupe sont sans surprise
Nirvana, Killing Joke, Black Sabbath, Les Melvins et Babes in Toyland. Avant
de découvrir ces groupes, on avait les pires goûts de chiottes et on
n’envisageait pas de faire de la musique dans un groupe !
Comment ça se passe pour la composition chez Fatima. Est ce un travail de
groupe, ou l'un arrive avec le squelette d'une chanson et l'écriture se fait
tout autour?
C’est plutôt simple ! A chaque fois Antoine vient en répétition avec le
squelette d’une chanson qui comprend généralement une introduction, les
couplets et les refrains avec le chant. Ensuite on triture le morceau dans
tous les sens pour aboutir à quelque chose qui nous plait à tous les trois. Si
un des trois n’est pas convaincu, le morceau part aux oubliettes !
En plus de faire de la bonne zik, vous avez la particularité de faire vous
même vos pochettes d'albums, vous les fabriquez avant de les prendre en photo
…
Oui nous faisons nos pochettes nous-mêmes, là encore avec les moyens du bord.
Toutes les illustrations, sculptures, décors sont réalisés par Antoine (alias
Gnocchi Dolce, son site internet, ici),
les peintures de figurines par JC et la photo par Maxime. On travaille
ensemble à la conception, et puis surtout ça nous éclate de faire ça en plus
de la musique. On fait ça ensemble et ça donne l’impression de bosser sur un
film en stop motion...bon sans l’animation hein !
Vous écoutez quoi en ce moment ?
(Cliquez sur les noms ci-dessus pour vous diriger vers les vidéos)
Que pensez vous de notre scène indé actuellement ?
On ne connaît la scène qu’au travers des lives et des tournées qu’on a pu
faire, et des groupes qu’on a pu rencontrer par ce biais. Et celle de Paris un
peu plus car on y vit et on connaît les assos, les groupes et le public. Et
même si c’est de plus en plus une tannée d’organiser des concerts dans les
grandes agglomérations à cause des mises aux normes réclamées par les mairies,
aux problèmes de voisinage et maintenant de Covid etc..., il y a encore des
assos qui se démènent toute l’année pour faire des soirées lives, avec des
groupes locaux, d’autres de province, ou à l’étranger. Il y a un public très
conséquent et toute une scène rock au style protéiforme se développe et existe
en sous sol sans que personne n’en ait grand chose à foutre à la surface. Ce
qui est vraiment chouette c’est que certaines assos comme Fauchage Collectif
ou En veux tu en V’là (sur Paris) n’hésitent pas à mélanger différents styles
de groupes sur un plateau (Noise avec des cuivres, math-rock, stoner etc). Il
y a aussi des assos plus spécialisées dans un style (fuzzo Raptors et Below the
Sun pour le stoner doom, Bermuda cruise pour l’impro/psychée, Musikoeye pour
le metal au sens large) mais quoi qu’il arrive c’est le même public qui vivote
entre toutes ces soirées et ces micro-scènes. Ce qui est top c’est que ces
concerts permettent souvent aussi aux illustratrices/teurs de flyers, de bd
indés, de fanzines etc, d’exposer leurs oeuvres et d’exister au même titre que
les groupes dans cette scène. Et puis le public « underground » est très
curieux. Tu croises souvent les mêmes têtes, un soir à une soirée grind, un
autre à une soirée ambiant. Et quand tu viens voir des concerts plusieurs fois
par mois, voire par semaine, en jonglant entre les assos, tu veux être surpris
quelque part et tu ne t’enterres dans un style bien précis en particulier ! Il
y a aussi une synergie entre les groupes et assos des différentes régions de
France qui s’échangent leurs groupes régulièrement. Le Raymond Bar de Clermont
est peut-être le squat à concert le plus cool de France, et des groupes de
rock, doom, noise, indie, peu importe, de toute la France y jouent régulièrement, c’est un lieu en or.
La tournée "Turkish Delights" est reportée mais toujours au programme ?
On espère vraiment pouvoir faire une tournée pour cet album. On ne sait
toujours pas quand cela sera possible. Pour l’instant, la seule confirmation
qu’on ait c’est le 12 septembre pour le Mennecy metal fest avec Napalm Death !
On a vraiment hâte et ce sera notre tout premier festival !
Merci d'avoir répondu à nos questions
Pour se procurer les 2 albums de Fatima, c'est par ici.
Et retrouvez Fatima sur Bandcamp là.
Crédits photos : Facebook Fatima.
Gian, septembre 2020.