vendredi 30 août 2019

Album Review : "We Are Not Your Kind" de Slipknot (Sortie le 09.08.2019)

Credits Photo : © Batterie Magazine

Si vous examinez les photos du groupe de nu metal américain Slipknot à la sortie de son 1er album éponyme en 1999, on pourrait penser que ses membres sont issus d’un mauvais film d’horreur, avec leurs numéros et leurs masques bon marché. Difficile donc de ne pas être ébloui par la dimension prise par ce collectif hors normes… Un groupe de pirates originaires de l’Iowa, des marginaux sociaux qui ont choisi une identité visuelle singulière, ont créé une des musiques les plus intransigeantes et sans compromission qui soit et sont devenus l’un des plus grands groupes de metal du monde. Un parcours étonnant mais pourtant ô combien enthousiasmant, y compris pour un profane comme moi.

Credits Photo : © Metal Zone

Même si le line up du groupe a quelque peu évolué pour ce 6ème album intitulé “We Are Not Your Kind”, puisque le batteur légendaire Joey Jordison - surnommé n°1 - et Dicknose - alias n°3 - ont malheureusement quitté le collectif, la renommée de Slipknot ne s’en est guère ressentie. Pour vous en convaincre, il vous suffit de voir que le 1er single “Unsainted” a récolté à sa sortie près de 5 millions de vues en 24h sur YouTube… De plus, la problématique de la séparation a toujours été intimement liée à Slipknot : vous vous souvenez sans doute que l’un des membres fondateurs, le bassiste Paul Grey, est mort d’une overdose en 2010 et que la fille du percussionniste Shawn Crahan est décédée tragiquement il y a quelques semaines. Loin d’inhiber ses velléités créatrices, Slipknot sublime la douleur, lui donne un visage, et la transforme en morceaux qui transpirent le dégoût de la vie.


Credits Photo : © Wall Of Sound

L’album s’ouvre avec “Insert Coin”, un paysage sonore d’1mn39, qui ressemble à une mécanique en cours de chauffe. Arrive ensuite “Unsainted”, sans doute l’une des meilleures choses que Slipknot ait jamais faites. Comme sur leur morceau de 2004 “Duality”, le titre associe un refrain gothique et pop à un couplet de grosse caisse qui sonne comme une série d’attaque à l’arme contondante venant s’écraser sur un gilet pare-balles. Sur “Birth Of The Cruel”, avec son refrain claustrophobe et tendu, on s’aperçoit que le Slipknot de 2019 n’est pas si éloigné du Slipknot version 1999.


Credits Photo : © Metal Zone


“Nero Forte” et le titre de clôture “Solway Firth” sont également une illustration de la perfection du style mécanique du groupe. Pourtant, ce sont les moments les plus calmes de “We Are Not Your Kind” qui se révèlent les plus convaincants. L’intermède feutré de “Critical Darling” est également troublant, car ses effets sonores ressemblent à ceux d’un vieil ordinateur se connectant à Internet, agrémentés de la voix de Taylor dans un soupir de punition. La piste la plus cauchemardesque est peut-être “My Pain”, une berceuse atonale déformée.


Credits Photo : © Metro

Ce disque peut être considéré comme une riposte implicite aux détracteurs, qui laissaient entendre que Slipknot était peut-être fini. Corey Taylor a suggéré qu'il s'agit d’un opus politique en réponse au climat de division qui caractérise l’Amérique de Trump. C’est sans doute la raison pour laquelle le titre de l’album est si inspiré : une référence à la méfiance apparente de Donald Trump à l’égard de tous ceux qui ne lui ressemblent pas. Mais c’est aussi un clin d’oeil au statut singulier du groupe dans l’industrie musicale actuelle…


Credits Photo : © NME

Vingt ans après ses débuts, Slipknot est resté fidèle à son ADN, malgré tous les changements qui ont jalonné le parcours du groupe. Les Américains n’ont pas changé… ils sont plus expérimentés, toujours aussi efficaces et tout aussi ivres de rage et de nihilisme rédempteur. A ce titre, “We Are Not Your Kind” - titre tiré du single “All Out Life” sorti l’année dernière - est un disque étonnant, une plongée rugissante et horrifiante dans les entrailles du dégoût du groupe, un cri métal inventif, extrême et primordial, une sorte d’ode à la misanthropie.

La Note de Manu : 9/10

Pochette de l'album "We Are Not Your Kind" de Slipknot (Sortie le 09.08.2019)

“We Are Not Your Kind” de Slipknot, LP 14 titres sorti le 9 août 2019 chez Roadrunner Records.
Tracklist :
1. Insert Coin (1:39)
2. Unsainted (4:21)
3. Birth Of The Cruel (4:36)
4. Death Because Of Death (1:21)
5. Nero Forte (5:15)
6. Critical Darling (6:26)
7. A Liar’s Funeral (5:27)
8. Red Flag (4:12)
9. What’s Next (0:54)
10. Spiders (4:04)
11. Orphan (6:02)
12. My Pain (6:48)
13. Not Long For This World (6:36)
14. Solway Firth (5:56)

Slipknot European Tour 2020

Manu de RAN

jeudi 29 août 2019

Album Review : "First Taste" de Ty Segall (Sortie le 02.08.2019)

Credits Photo : © Slant Magazine

Ty Segall semble courir après les idées comme s’il craignait qu’elles disparaissent aussi vite qu’elles sont arrivées. Les disques s'accumulent et pourtant, il semble toujours aussi pertinent. En 2018, il a élargi sa vaste discographie de 4 albums supplémentaires et il a également publié un album live - “Deforming Lobes” - en début d’année 2019. Passé d’un garage West Coast à une sorte de disco rock sur “Freedom’s Goblin”, Segall a effectué de nombreuses expérimentations sonores et est devenu au fil du temps l’un des musiciens les plus prolifiques du rock indépendant. Il est donc agréable de constater qu’il trouve toujours de nouveaux territoires à explorer.


Credits Photo : © Paste Magazine


Abandonnant temporairement son instrument de prédilection, le guitariste stakhanoviste canalise cette fois ses énergies et revient avec “First Taste”, un album inhabituellement concentré. Un album qui élargit le son du californien tout en conservant la tendance maximaliste qui rend son oeuvre si plaisante.


Enregistré sans une seule guitare, cet opus s’appuie entièrement sur claviers, percussions et instruments à cordes, et tire sa puissance d’un synthétiseur massif et d’une section rythmique au diapason. La voix de Ty Segall, passionnée et expressive, est sans doute l’instrument prépondérant de l’architecture sonore de “First Taste”, la musique et les paroles réalisant une puissante synergie.

Credits Photo : © Les InRocks

Renonçant à son allégeance au garage, le songwriter élargit sa conception du psychédélisme en infusant des nuances de rock progressif, un peu de folk fracturé, des harmonies vocales en cascade et des synthés fantasmagoriques. S’il crée toujours un son en forme de mélange subtil de Led Zeppelin et de T. Rex, ne vous avisez pas de croire que “First Taste” est entièrement baigné par la nostalgie.


L’ajout de nouveaux instruments - comme un bouzouki grec ou un koto japonais - confère à cet album un éclat intense et audacieux. D’une chanson à l'autre, Ty Segall virevolte entre le stoner rock effronté - comme dans “Taste” ou “The Fall” - et des chansons plus méditatives, voire torturées. Cela crée certes un certain manque de fluidité, mais permet au chanteur de déployer son énergie indisciplinée - comme dans “I Sing Them” - mais aussi de proposer la farce malveillante et lente de “I Worship The Dog”, immédiatement suivie du beaucoup plus doux “The Arms” et de l’instrumentale “When I Met My Parents (Part 1)”, qui associe une ligne de basse faisant penser au post-punk de Gang of Four à un compteur polyrythmique.


Credits Photo : © Les InRocks


Si un parfum d’expérimentation mal maîtrisée peut apparaître par moments, la 1ère écoute donne une impression tout aussi frénétique que les albums précédents, montre le brio et l’inventivité du multi-instrumentiste et rythme cet opus pour obtenir un impact maximal. Peu d’artistes sont aussi déterminés à repousser sans cesse leurs limites, et ce disque prouve à quel point Ty Segall est divertissant quand il se lâche complètement. Après plus d’une décennie de carrière, qui l’a vu effleurer tant de styles musicaux, “First Taste” est avant tout un témoignage de la liberté que le Californien revendique pour alimenter ses délires créatifs.


La Note de Manu : 8/10



“First Taste” de Ty Segall, LP 12 titres sorti le 2 août 2019 chez Drag City Records.

Tracklist :
1. Taste (3:36)
2. Whatever (4:25)
3. Ice Plant (3:33)
4. The Fall (2:58)
5. I Worship The Dog (3:35)
6. The Arms (3:30)
7. When I Met My Parents Pt. 1 (1:03)
8. I Sing Them (2:39)
9. When I Met My Parents Pt. 3 (2:16)
10. Radio (3:51)
11. Self Esteem (5:03)
12. Lone Cowboys (4:33)




Credits Photo : © Consequence Of Sound

Manu de RAN

samedi 24 août 2019

LIVE REPORT: THE GOOD THE BAD AND THE QUEEN AU BATACLAN LE 27 MAI 2019


The Good The Bad and The Queen, le projet de Damon Albarn, le leader de Blur et de Gorillaz, qui regroupe Paul Simonon le bassiste des Clash (vous savez celui qui casse sa guitare sur la pochette de London Calling), Simon Tong le guitariste de The Verve, et Tony Allen le jeune batteur de 78 ans, faisait escale au Bataclan le 27 mai 2019. Avec deux albums en 12 ans et des tournées à chaque sortie d’album, les possibilités de voir le groupe sur scène sont assez réduites! Autant dire qu’il ne fallait pas manquer ce passage à Paris, même si, les billets étant partis assez vite, une deuxième date avait été programmée au Trianon le 28 mai.






Le principe de ce live est de jouer tout d’abord le dernier album en date Merrie Land, puis le premier album The Good The Bad and The Queen.

Le décor est relativement sobre et cozy, on se sent un peu comme dans un vieux club de jazz, le fond de scène représentant un décor urbain couleur sépia. 
Les musiciens arrivent sur scène et débutent le concert par « Merrie Land ». 

Les titres du nouvel album s’enchaînent et l’ambiance très particulière de celui-ci est bien rendue pendant la prestation live. Cependant l’absence de la marionnette des clips vidéo rend l’atmosphère moins anxiogène que celle de ces derniers (bon j’avoue que cette marionnette, elle m’angoisse) !


 L’enchaînement des chansons jusqu’au très apprécié « The Great Fire », puis la très belle chanson « Ribbons » interprétée par Damon à la guitare acoustique, constituent probablement les points d’orgue de cette partie du show. 


Un show tout en ambiance feutrée dans lequel il est intéressant de voir ces musiciens, qui nous ont par ailleurs habitués à des spectacles plus remuants, dans ce style très intimiste. Mais on se laisse gentiment envoûter par toute cette ambiance. 









Après une courte pause la seconde partie du concert est donc dédiée au premier album du supergroupe. Tous les musiciens ont l’air de prendre du plaisir et Tony Allen excelle à la batterie avec son jeu subtil et racé. Sur « Three Changes » il se laisse d’ailleurs emporter par son enthousiasme et accélère le tempo, un peu trop au goût de Damon Albarn qui finalement s’avoue vaincu et nous sert une version très « Clashienne » de la chanson.






 A noter qu’un ensemble de cordes accompagne les musiciens et soutient parfaitement certains titres comme « Herculean » par exemple. Le set se terminera comme il se doit par le titre « The Good The Bad and The Queen », apothéose d’un concert qui aura ravi le public.

En tout cas, 
quel plaisir de voir sur scène ces quatre superbes musiciens, surtout, en ce qui me concerne, Paul Simonon dont l’image sigle, vous l’avez certainement noté, le site de R.A.N. !















Setlist

Merrie Land
1.    Merrie Land
2.    Gun to the Head
3.    Nineteen Seventeen
4.    The Great Fire
5.    Lady Boston
6.    Drifters & Trawlers
7.    The Truce of Twilight
8.    Ribbons
9.    The Last Man to Leave
10.     The Poison Tree
The Good, The Bad & The Queen
11.     History Song
12.     80's Life
13.     Kingdom of Doom
14.     Herculean
15.     The Bunting Song
16.     Nature Springs
17.     A Soldier's Tale
18.     Three Changes
19.     Green Fields
20.     The Good, The Bad & The Queen

samedi 17 août 2019

Live Report : Last Train live aux Moissons Rock le 01 juin 2019

Si il y a bien un endroit où qu'il fallait se trouver en ce 1er juin 2019, c'était bien à Juvigny (51) pour la 25ème édition du festival des Moissons Rock. En effect, les 4 alsaciens de Last Train sont remontés sur scène après 1 an et demie de vacances bien méritées succédant leur Weathering Tour qui aura duré en tout et pour tout, 3 ans. Mais ils n'ont pas chômé pour autant car ils nous ont enregistré leur 2ème album cette hiver à l'océan Sound Recordings en Norvège et il sortira ce vendredi 13 septembre.
Il est 20H et des poussières, nous sommes sous le chapiteau ouvert et le soleil tape sur la foule. Un grand drap blanc horne le fond de la scène, fini la banderole noir avec le nom du groupe alors, la classe en toute sobriété donc.
Le groupe arrive sur scène, et les fans content de les voirs arriver font entendre leur enthousiasme. Et c'est Tim qui lance les premières notes à la basse du nouveau titre  Disappointed (récemment dévoilé par le groupe sur les plateformes de streaming) avant d'enchaîner sur Way Out qui va déchaîner le public. Jean-Noël présente le groupe entre les 2 titres et c'est Dropped By The Doves qui va déchaîner à son tour le groupe qui est visiblement heureux d'être sur scène et de reprendre la route pour ce Big Picture Tour.
Et on attaque les classiques du groupe avec le sublime Jane qui frôle dorénavant les 10mn, on a faillit ne pas reconnaître le début de Between Wounds qui a été un peu revisité pour son intro.
Et c'est au tour du cultissime Fire, titre qui a lancé la carrière de Last Train en 2015 en étant diffusé chez Tonton Zégut.
Et c'est au tour de Leaving You Know, titre qui a embrassé les Moissons Rock avant de nous dévoilé le titre éponyme du prochain album, The Big Picture qui nous envoie dans les étoiles avant de se quitter.
Last Train est actuellement en tournée dans toute la France et passera au Trianon de Paris le 06 novembre et achèvera sa tournée chez eux (ou presque) le 20 décembre à la Laiterie de Strasbourg.




Gian, juin 2019.

mercredi 7 août 2019

INTERVIEW : Loran des Ramoneurs de Menhirs : “Profitez bien, avant que ça ne soit interdit...”

Les Ramoneurs se produisaient le 1er février dernier à Tinqueux (51) - une fois encore Sold Out - et ont offert à leur public un concert plein d’énergie et de sincérité avec pour message : respect, amour, partage, tolérance et une totale insoumission envers un système capitaliste monothéiste (dixit Loran). Quelques jours après, Loran (l’éternel insoumis) nous accorda une interview téléphonique.

L'Alternative : Salut Loran, peux-tu nous raconter l’origine des Ramoneurs et comment vous en êtes venus à mélanger la musique traditionnelle bretonne avec ton punk bien à toi ?

Loran : Fanfan (des Béru) est breton à la base, et en 85’ sur le maxi 45 tours Joyeux Merdier, sur le morceau Vive Le Feu on sonne une gavotte à la fin. Donc déjà là, on s’est aperçu que la musique bretonne et la guitare électrique riffeuse allaient très bien ensemble. C’est né de là. Après, les Béru se sont reformés pour quelques dates entre 2003 et 2005, et là notamment aux Transmusicales on avait branché tous les anciens qui avaient participé aux Béru dont les sonneurs Eric et Jean-Pierre, JP participe à chaque album et joue de la cornemuse (un biniou brasse en breton). Et, il y avait trop de monde aux concerts des Béru, donc on a arrêté les apparitions et on a enchaîné sur les Ramoneurs de façon naturelle. Et Eric et Richard qui ont joué avec nous à Astropolis m’ont branché pour un album de trad, et là on s’est rendu compte qu’on montait des morceaux très rapidement et on a enchaîné sur le groupe très très vite. Le fait de ramoner un menhir, c’est de réactiver l’esprit des pierres en Bretagne.

                        

Il y avait déjà une longue amitié entre vous ?

On ne peut pas monter un groupe autrement. Je sais que dans le showbiz c’est pas comme ça que ça se passe, quand tu vois Aerosmith par exemple, les mecs ont chacun un bus tour parce qu’ils ne se parlent plus, ça en devient ridicule en fait. On n’a jamais été comme ça, on est issu de la scène indépendante et nous ne sommes pas des majorettes du show business (rires).

                   

Quand on vous connait, on peut deviner de quoi parle vos textes. Mais pour ceux qui ne pigent rien au breton et les autres qui ne vous connaissent pas, peux-tu nous dire de quoi il retourne ?

Le fait de chanter en breton est super important, de même que les amérindiens (suivant les tribus auxquelles ils appartiennent), aux africains ... et on arrive à saisir l’esprit, les mots c’est vachement important certes, mais ce n’est pas ce qu’on dit qui compte, mais ce qu’on fait, et comment on le dit. Donc, même si on chante à 90% en breton, tout le monde comprend très bien (on intervient en français quand on est en France et quand on va à l’étranger on s’adapte). Ce qui est important, c’est l’esprit que le groupe dégage. Nous ce qu’on fait, dans la musique bretonne, c’est du traditionnel donc ce sont des danses et on adapte le breton au terroir de la danse puis on reprend les textes traditionnels et on les détourne si on ne les trouve pas intéressant. On parle de plein de choses en fait, tout ce qui nous emmerde, les choses oppressantes. Là, on voit que les gens se bougent en ce moment, c’est bien! Mais ça fait longtemps qu’il y a des gens qui se bougent et on a compris que c’est par la solidarité qu’on peut arriver à fonctionner mieux. On le voit bien sur les ronds points (les gens n’arrivent pas à boucler les fins de mois), et on voit débarquer des gens qui arrivent et qui donnent à manger, à boire, du bois ... Donc on pourrait finalement se démerder en s’aidant les uns les autres. Arrêtons de nous plaindre! On sait que le système c’est de la merde, alors construisons autre chose!

Il faut agir maintenant ?

Ah oui, et de toutes façons on a un compte à rebours avec le réchauffement climatique et la destruction de la planète à une vitesse hallucinante. Il va falloir à apprendre à partager, c’est bien beau de mettre des murs partout, mais finalement les gens qui auront construit ces murs se retrouveront coincés à l’intérieur de leurs propres murs. Il va falloir partager ce qu’il reste sur la planète avec les autres humains, c’est une réalité. On s’est permis de dépouiller la planète parce qu’on est soit disant une civilisation avancée, pour la destruction oui! Mais pour le reste j’en suis moins sûr. Il va falloir que l’être humain apprenne à partager. Et souvent, l’Homme ne partage que quand il n’a plus rien, c’est souvent comme ça. Tu vois, quand je faisais la manche dans la rue (je faisais un petit spectacle, un petit truc), et bien les gens qui te laissent une pièce... ce ne sont pas les gens qui ont de la thune, ce sont les gens qui n’en n’ont pas la plupart du temps. Je sais pas ce qu’il leur arrive à ceux qui ont de la thune mais ils ont du mal à la lâcher, et bien maintenant il va falloir qu’il la lâche parce que ça devient insupportable. Il y a des gamins qui n’arrivent pas à se nourrir et d’autres qui croulent sous les thunes et qui ne savent pas quoi en faire tellement ils en ont. Actuellement, les gens qui ont beaucoup d’argent pensent que ceux qui n’en ont pas sont des fainéants, ça me fait marrer tu vois, parce que quand je vois que les plus grosses fortunes se sont des actionnaires et que ces gens là gagnent de l’argent en dormant, donc en parlant de fainéant tu vois (rires), c’est hallucinant! On peut être fainéant si on en a envie, c’est quoi ce délire, la vie est faite pour être vécue et qu’elle nous plaise. Perdre sa vie à la gagner, c’est pas un beau rêve à proposer à nos enfants.

Tu racontes souvent l’histoire de Géronimo sur scène, peux tu nous la raconter pour nos lecteurs ?

On a fait un texte avec les Béru, Nuit Apache et les paroles sont issues de Géronimo qui sont dans un bouquin qui s’appelle Mémoires de Géronimo si je me rappelle bien. Il y avait deux sortes d’Apache, les Massaies qui ont acceptés d’être parqué et de planter le mais en ligne, ce qui est une chose aberrante pour les amérindiens, car on ne plante pas les plantes en ligne c’est un truc de blancs ça, il faut laisser la nature faire aussi. Et, il y avait Géronimo et ces 25 Sherikawaks se sont battus contre l’armée américaine pendant trois ans, ils leur ont tenu tête à 25. On voit que la résistance est forte quand elle vient du coeur, ils peuvent envoyer des milliers d’hommes, ça ne changera rien. C’est ce qu’il s’est passé au Vietnam avec l’armée américaine, c’est exactement ça, ils ont pris une branlée par le peuple le plus faible du monde militairement et l’armée américaine qui était un gros monstre militaire n’a pas réussi à les mettre à genou les Vietnamiens, parce que eux se battaient pour leur liberté, et les américains se battaient pour le business, et ça n’a rien à voir.

                   

Vous avez 13 ans d’activités avec albums et des centaines voire des milliers de concerts ...

Ouai, on fait entre 80 et 100 concerts par an, le groupe a 13 ans, ça doit être ça.

Partout où vous passez vous faites salle comble, à Tinqueux (51) par exemple c’était complet pareil pour le lendemain à Nogent Le Rotrou (28) ...

Tu sais, je le dis souvent en concert, profitez bien avant que ce soit interdit (rires)

La convivialité dérange le système ?

Ouais, c’est clair et net ! C’est sûr, il existe des salles de concerts avec des locaux de répétitions financés par l’état, c’est très bien, et les groupes sont coachés, ok ! Mais à la fin ça aboutit à quoi ? Quand tu coaches un groupe et que tu lui colles une personnalité qui n’est pas la sienne, ça aboutit à de la merde en fait. Et c’est ça que le système veut, des petits artistes qui ne dérangent personne tu vois. Et c’est pour ça que je n’ai jamais été intermittent, je ne suis pas un fonctionnaire, je n’ai pas à prouver à l’état que je suis rentable économiquement pour démontrer que je suis un artiste. C’est ça le problème des intermittents, et la chose la plus atroce c’est que tu ne peux pas jouer gratuitement sinon c’est considéré comme du travail au noir, et moi, ça me gave! Un artiste peut jouer gratuitement si il en a envie ... En Bretagne par exemple, on fait des concerts en soutien aux écoles du monde qui ont besoin d’argent et là on joue gratuitement, et le fait qu’on ne soit pas intermittent on peut faire ce qu’on veut, et je ne vois pas comment un artiste peut fonctionner s’il ne fait pas ce qu’il veut. Pour qu’un artiste soit un révélateur photo par rapport à la fourmilière dans laquelle nous sommes tous, c’est d’être simplement en marge du système et de cette fourmilière pour analyser les choses, et les gens perdent leurs vies à la gagner et ne se rendent plus compte de rien. Parce qu’on dit que les hommes politiques sont déconnectés, mais tout le monde est déconnecté, et les gilets jaunes le sont autant. Parce que quand je vois un 4x4 avec un gilet jaune, ça me fout les boules, tu vois. Et moi, je peut pas être sur un rond point avec des fachos, je ne dis pas que tout le monde est facho, mais il y en a quand-même et ça, et moi rien que ça! Je peux pas. Je tolère tout ... sauf l’intolérance !

Votre sincérité qui plaît vraiment à votre public ...
Comment peut-on faire autrement ? On joue avec pleins de groupes qui sont super, mais des fois on a l’impression qu’ils ne font pas un concert, ils font un set en fait. C’est super bien emballé, mais pour moi c’est pas ça un concert, c’est pas un set un concert, c’est quelque chose de bien plus fort que ça, c’est une cérémonie entre tout le monde avec toutes ces différences, c’est hyper important les différences à un concert. J’invite tous les gens différents à venir aux concerts. C’est ça qui est bien avec la musique bretonne, maintenant à nos concerts tu vois des gens de 3 ans à pas d’âge, tu vois? T’as les parents avec les enfants, les grands parents, c’est hallucinant, et je suis content de ça. Après Tinqueux, on était à Nogent Le Rotrou, c’était le délire, il y avait des enfants, et ils sont montés sur la scène, c’était hyper chouette, hyper beau, et tu vois ils ont vécu un truc inoubliable, inoxydable. A douze ans, j’ai fait un concert de Patti Smith, et j’ai pris une grosse claque, et avec mon pote on s’est dit que quand on sera grand on fera un groupe de rock. C’est important que les enfants voient aussi que c’est possible de faire les choses autrement.

Quel message as tu envie de passer aux jeunes qui se lancent dans la musique aujourd’hui ?
Moi, les coachs et tout ca, ça me gave. Quand on était avec Eric (le sonneur), on avait 16/17 ans, on avait moins de 20 ans, et on c’est fait un pacte avec tous les petits punks : ne jamais faire confiance à un gars de plus de 20 ans (rires). Que les jeunes groupes arrêtent de se faire coacher, qu’ils soient comme ils le veulent, comme ils le sentent, le ressentent, comme ils sont. Et c’est là qu’ils seront le mieux en fait, c’est ça la sincérité : c’est être comme on est, ni plus ni moins ! Faut arrêter de faire du théâtre, les concerts c’est autre chose, c’est une cérémonie. C’est une cérémonie sans les religieux, et c’est vachement mieux (rire).
Certains mé(r)dias affirment que le rock (dans sa généralité) serait mort car il se vend moins bien que les décennies précédentes. Comment le ressens tu ?
Je mesure pas du tout ce qui marche ou pas du coté commerciale. Johnny Hallyday vend beaucoup et pour moi c’est de la merde, ça ne veut strictement rien dire. Si les choses qui étaient intéressantes marchaient le mieux on en serait pas là, il n’y aurait pas toutes ces chaines pourries. Je pense qu’il y a de moins en moins de gens avec les yeux ouverts, tout le monde est lobotomisé sur son écran, j’ai arrêté les réseaux sociaux il y a plusieurs années, parce que ça me gave, tout le monde se crache à la gueule, je préfère voir les choses autrement et parler aux gens directement en face, parce que les gens qui se cachent derrière un pseudo et qui te balance plein de merde à la gueule, ça ne sert pas à grand chose, le harcèlement je trouve ça atroce et je considère ça comme un fascisme. Ce que je souhaite à la jeunesse, c’est qu’elle casse ses écrans et qu’elle sorte de sa putain de maison. Qu’on arrête de nous faire croire que dehors c’est danger, que parler à des gens qu’on ne connait pas c’est danger, que les étrangers c’est danger ... c’est archi faux ! Ce qui est dangereux c’est la consanguinité, c’est qu’à force de rester qu’entre nous (déjà qu’on est pas “fufute”), il va se passer quoi ? Déjà qu’on est une moitié d’une espèce de consanguinité mentale, tu vois? Parce que l’extrême droite, c’est vraiment ça ! Les gens qui prônent le repli sur soi-même, mais c’est vraiment ça! Ils ont un problème en fait! Si la Terre a fait que les êtres humains sont différents, il y a bien une raison. C’est pour que nos gênes se brassent, si on aboutit à de gros problèmes, et j’ai l’impression que ces gens là ont de gros problèmes mentaux, ils ne sont pas du tout équilibrés, c’est clair et net! Quand on voit des gens qui fuient les guerres qu’on a déclenchées, des gens qui fuient les problèmes climatiques dont on est responsable en plus, c’est inadmissible de ne pas pouvoir accueillir ces gens là, c’est non-assistance à personnes en danger. Je croyais qu’il y avait des lois pour ça, on applique même pas nos propres lois.

Le mur de Berlin est tombé lors des 3 derniers concerts des Béru (les 9, 10 et 11 novembre ‘89). Que fera tomber le dernier concert des Ramoneurs ?
Pour moi, chaque concert fait tomber un mur. On fait tomber les murs entre les gens qui sont là, on met toutes nos forces pour faire pulvériser les murs entre les générations et les différences ... parce que mine de rien, ce sont des murs qui sont peut-être invisibles mais ils sont là, et c’est vraiment un problème. On fait tout un cinéma sur les femmes voilées, ouais ça craint ... mais le voile invisible de la femme occidentale, c’est quoi ? C’est qu’elle doit être toujours au top, c’est pas un voile ça ? Si on rentre pas dans les critères de beauté européens ou occidentaux, on est une merde. C’est ça le voile de la femme occidentale, il faut faire tomber tout les voiles, sinon ça devient du racisme.
Les murs invisibles sont les plus durs à faire tomber ?
Ah oui, il faut arrêter de fantasmer sur des choses qui sont craignos. Il faut agir avec respect, que les gens irrespectueux se cassent! Qu’ils leur fassent leurs murs et qu’ils s’enferment dedans avec toutes leurs merdes et leur thune, on en a rien à foutre, parce que quand ils auront plus rien, qu’est ce qu’ils vont en faire de leur thune?

Votre dernier album “Breizh Anok” (bretagne anarchiste en français) est sorti en juin 2018 et rend hommage à des groupes comme Crass. Avez vous déjà quelques idées pour votre prochain album?
On va commencer le 5ème album. On commence, on défriche, on verra bien où ça va partir. On a fait le dernier avec un Bagad, pour ceux qui ne connaissent pas c’est une fanfare traditionnelle, en Bretagne il en a une dans chaque ville. On fait cet album avec le Bagad de Quimperlé et effectivement on a fait un bel hommage à Crass et a un groupe produit par Crass sur la compil Bullshit Detectors avec Pach Punk. On a fait un gros pont entre les arnacho-punks et la Bretagne, et c’est pour ça qu’on l’a appelé Breizh Anok. Donc, on verra bien où nous allons partir avec le prochain album, on programme rien, on est pas informaticien justement (rire). On laisse faire les choses comme elles doivent se faire, et c’est bien mieux comme ça. Ca fait 42 ans que je fonctionne comme ça, j’ai fait mon premier concert avec Cadenas Rock à 13 ans au collège en pleine explosion punk, et pour moi c’est comme-ci c’était hier, et j’ai pas abîmé ça parce que j’aime trop ça. Je pense que le gros problème des gens, c’est qu’il ont une vie qu’ils n’aiment pas, c’est pour ça qu’ils passent leur temps à se plaindre en fait. Nous aussi il y a des mois où on fait moins de concerts et on a moins de thunes, et on ne se plaint pas parce qu’on aime ce qu’on fait. Et à partir du moment où on aime ce qu’on fait, ça vaut tout l’or du monde. Les gens se mettent dans des cases, je dis pas que c’est de leur faute parce que c’est le système qui est comme ça aussi, mais il suffirait de vivre autrement, plus en collectif, partager mieux et se rencontrer. Tout le monde a ses petits appareils chez soi, on est 7 milliards sur la planète. Si il y a 7 milliards de machines à laver, de congels, de frigos à tourner en même temps, mais ça va imploser. Faut arrêter, il faut que l’on consomme autrement. Au lieu de gueuler que le gazole augmente, c’est peut-être une chance qu’il augmente, parce que du coup ça va forcer les gens à réfléchir, à fonctionner autrement ... C’est ça le problème, n’attendons pas que ce soit l’état qui nous l’explique. L’état est là pour défendre les intérêts des plus riches. Arrêtons d’être bête et fonctionnons autrement, on est assez intelligent quand on est solidaire entre nous, parce que les idées fusent, les idées ne viendront pas d’une seule personne mais de plein de personnes en même temps, c’est ensemble que l’on trouvera les bonnes idées, j’en suis convaincu. Mais il faut qu’on décroche du système dans lequel on est, des réseaux sociaux, ça fait 6 ans que j’ai plus de compte en banque, j’ai arrêté la viande il y a 30 ans, je dis pas que tout le monde doit faire pareil mais on est pas obligé de consommer n’importe comment. On gueule contre les banques, et bien arrêtons les banques, et sans violence en plus. Ca va amener quoi la violence ? Une guerre civile ? Et une guerre civile, c’est une catastrophe! Je n’ai pas envie que nos enfants vivent ça, c’est atroce. Donc, il faut aider les gens qui sont dans la merde, et nous arrêtons de nous plaindre parce qu’on a nos poubelles qui sont remplies, tant que nos poubelles sont remplies je ne peux pas accepter que les gens se plaignent. Il y a des endroits, il n’y a même pas de poubelles parce qu’il n’y a rien, là je comprends que les gens se bougent, c’est une question de survie on ferait tous pareil, c’est normal. C’est une chance qu’on soit né ici, on aurait pu être né en Syrie, en Irak, être un intouchable* en Inde, un Indien en Amazonie massacré parce qu’il faut qu’on déforeste pour élever des boeufs ou du soja transgénique ou d’autres merdes. Basta quoi! Quand je vois les gilets jaunes, et ça je suis d’accord, qui trouvent inadmissible que des entreprises comme Facebook, Google, Amazon qui reversent rien au collectif et qui sont dans des paradis fiscaux et qu’ils n’ont rien à payer, mais putain les gilets jaune leurs mode de communication, ce sont ces gens là! Donc, ils ont le syndrome de Stockholm en fait, ils aiment leurs oppresseurs, parce que si il n’y avait pas internet ... Ils seraient comme des cons en fait, et n’empêche à chaque fois qu’ils cliquent sur internet ils font chauffer les serveurs et il faut bien les refroidir, ils font partie du réchauffement climatique, donc il faut arrêter! Tu peux pas dire que tu es contre un système et aller bouffer au Mc Do, avoir un 4x4 et te comporter comme un benêt avec internet, tu vois? Moi, ça me gave! Je comprends les revendications, mais ça fait longtemps que pleins de gens vivent et consomment autrement, les gens en campagne se plaignent mais ils ont une chance inouïe d’avoir de la terre pour planter des fruits et des légumes, les gens en ville n’ont rien et les campagnards croient qu’on les abandonnent, c’est pas vrai ! J’ai l’impression qu’on est des enfants gâtés, on a tout et on se plaint. Consommons autrement et mangeons moins et meilleur. Arrêtons de consommer n’importe comment! Il y a une image qui m’a marquée une fois, tu vois un petit africain qui n’a rien et qui a le sourire et tu vois un autre enfant occidentale qui a une montagne de jouet et qui n’arrête pas de gueuler, voilà c’est vraiment ça!
*Les Intouchables (aussi appelés Dalits) en Inde sont des groupes d’individus concidérés comme hors castes et affectés à des fonctions ou métiers jugés impurs et sont victimes de nombreuses discrimination, ils sont présent en Inde mais aussi dans toute l’Asie du Sud.

Merci à toi Loran (l’éternel insoumis) de nous avoir accordé cette interview
Merci à toi et aux gens qui se déplacent aussi aux concerts, parce que si il n’y avait pas de gens qui se déplacent aux concerts, il n’y aurait pas de concerts. Et je suis heureux de faire ce que je fais, ça me donne un équilibre mental en évacuant plein de choses. Et merci aussi aux organisateurs de concerts parce que c’est pas évident de faire venir des groupes un peu différents, on essaye de te mettre des bâtons dans les roues des fois, avec la préfecture et les flics qui te foutent la pression. Et aussi aux bénévoles qui sont incroyables et qui se donnent à fond sans intérêt financier et si la politique était comme ça, les choses seraient vraiment différentes, parce que le gros problème, c’est que tout le monde pense à sa gueule et à son plan de carrière. C’est comme les musiciens sur les majors, ils pensent à leurs ventes de disques, à leurs droits d’auteurs ... certes, l’argent est indispensable, mais ce n’est pas une fin en soit, que les choses soit claires.

Mais aussi un grand merci à Julie de nous avoir donner l’opportunité de réaliser cette interview.
Gian, février 2019.