mercredi 29 janvier 2020

Album Review : "Mind Hive" de Wire (Sortie le 24.01.2020)

Credits Photo : © Rolling Stone
À l'exception peut-être de The Fall, quel groupe de la fin des années 70 a refusé de façon si obstinée de se confronter à son propre passé ? Depuis que Wire a émergé avec le label Pink Flag, le groupe a passé sa carrière à tenter de développer sa palette sonore - souvent avec succès - et a exploré des structures de chansons avant-gardistes. Le nouvel album du groupe originaire de Londres - intitulé “Mind Hive” - confirme cette tendance. En effet, sur ce 17ème disque, Wire nous livre une oeuvre montrant le combo à son summum pop, avec un son plus accrocheur et plus gras. Avec ses thématiques politiques et son utilisation magistrale des synthés et des guitares, ce nouvel opus de Wire confirme la capacité du groupe britannique à repousser les limites du rock, du post-punk et du punk.
Credits Photo : © The Vinyl Factory
Le chant exagéré de Colin Newman infuse le titre d’ouverture “Be Like Them”, une chanson menaçante critiquant le système capitaliste. Plutôt que de se confronter, les guitares se complètent à merveille. Il s'agit certes d'un début prometteur pour un album qui s'annonce passionnant, mais il recèle encore bien des beautés, comme pour ménager ses effets et le suspense. La piste suivante “Cactused” est presque l'anti-thèse du morceau précédent et se révèle beaucoup plus optimiste et dansante. On y décèle un groove rappelant un Bryan Ferry dopé à la caféine en guise de catalyseur, mais aussi des éléments qui rappellent la Britpop et des sons vifs, qui donnent un sentiment de confiance. Pourtant, à l'écoute de cette piste, il est clair que Wire se veut résolument moderne.
Credits Photo : © Vivien Turmel
Ce côté pop est toujours présent sur la 3ème piste, “Primed And Ready”, bien que cette fois-ci, on retrouve également des riffs de guitare profonds, un synthétiseur magique et des percussions crépitantes, qui renforcent la dureté de certaines sonorités. Vient ensuite la brise atypique “Off The Beach”, qui commence par une mélodie positive et légère, mais elle se révèle rapidement avoir une signification plus profonde et presque cachée, avec des paroles très sombres qui critiquent ouvertement notre société actuelle.
Credits Photo : © Graham Duff
Des mélodies agréables et positives infusent “Unrepentant” et “Shadows”. Malgré cela, la première citée explore de nouveaux sommets sonores, avec un style vocal très distinctif. En effet, le ton quasi-automnal de la voix de Colin Newman, parfois altérée et plaintive, rappelle Robert Wyatt. “Unrepentant” est sans doute la piste la plus simple et la plus touchante de l'album. En fait, c’est comme si le disque narrait une sorte de voyage à travers les thématiques et la façon dont chaque morceau est conté. Wire a réellement une habileté certaine pour nous appâter avec une mélodie en apparence inoffensive et - en même temps - nous surprendre - presque nous choquer - en la jumelant avec des paroles bien plus radicales qu’il n’y paraît.
Credits Photo : © QRO Magazine
Les explosives “Oklahoma” et “Hung” reviennent un peu aux sources, avec des thèmes post-punk classiques, toutefois agrémentés de synthés et d’autres effets de manche. Le disque se termine avec la magnifique “Humming”, clôture langoureuse et tendre de ce qui est un album imprévisible et surprenant. Si la voix de Colin Newman rappelle le vibrato bourru de David Byrne, tandis que les synthés empruntent à la période berlinoise de Brian Eno, et que le guitariste sonne comme Syd Barrett du temps de Pink Floyd, curieusement, sur “Mind Hive”, Wire sonne comme de nombreux groupes qui ont émergé au cours des 10 dernières années. Bref, le post-punk est vivant et dynamique… Wire nous en apporte une nouvelle fois la preuve. 44 ans après leur 1er effort, les musiciens britanniques produisent toujours une musique qui étalonne le genre en trouvant l'équilibre parfait entre l’aspect musical et le message délivré.


La Note de Manu : 8/10
Povhette de l'album "Mind Hive" de Wire
“Mind Hive” de Wire, LP 09 titres sorti le 24 janvier 2020 sur Pinkflag Records.

Tracklist :
1. Be Like Them (3:52)
2. Cactused (3:35)
3. Primed And Ready (2:44)
4. Off The Beach (2:23)
5. Unrepentant (5:02)
6. Shadows (2:46)
7. Oklahoma (3:08)
8. Hung (7:54)
9. Humming (3:29)

Credits Photo : © Rolling Stone


Manu de RAN

lundi 27 janvier 2020

[INTERVIEW] The Verge : "Il faut toujours viser très haut, sinon la réalité te ramène tout en bas..."

De gauche à droite : Boodjie (chant), Todd (guitare & choeurs), Jam (batterie) & Ludivine (claviers & choeurs) - Source : © Site Officiel The Verge
3 ans après un 1er opus “So Close So Far” qui fleurait bon la pop anglaise des années 80 - notamment Tears For Fears - dont l'ombre tutélaire était évidente, le groupe francilien The Verge - composé de Ludivine aux claviers & aux choeurs, Boodjie au chant, Todd à la guitare & aux choeurs, Jam à la batterie et Jules à la basse - assume enfin ses influences et sa singularité pour nous proposer “Million Years”*, l’un des disques de rock alternatif les plus prometteurs & les plus frais de cette fin de décennie.

C’est dans un bistrot typiquement parisien - dans le 18ème arrondissement de Paris - à 2 pas de Barbès & du Trianon que je rencontre Ludivine - alias Ludy ou Lulu - et Boodjie. Histoire de ce projet atypique, les sessions d’enregistrement, le quotidien d’un groupe de rock qui affine son identité sonore, les projets... et surtout ce 2nd album “Million Years”, sorti le 04 octobre 2019 et dont je vous ai déjà parlé précédemment…

Autant de thèmes abordés avec 2 des artistes les plus gentils, intéressants et bienveillants qu’il m’ait été donné d’interviewer pour Rock Alternative News… mais aussi la situation du rock en France aujourd’hui. Un rock ancré dans l’ADN de The Verge, même si chez le combo parisien, la pop n’est jamais bien loin...
Ludivine - Source : © Site Officiel The Verge
Boodjie - Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Salut Ludivine, salut Boodjie... Bref, salut The Verge. Pouvez-vous présenter le groupe The Verge en quelques mots svp ?
Ludivine : The Verge est un groupe pop / rock qui mélange à la fois le vintage et le new age. C’est un mélange de nous tous.

Boodjie : Avec quand même une pointe d’électro. C’est l’union de 4 personnalités différentes qui s’unissent et se focalisent sur ce projet commun lorsqu’elles sont sur scène. Mais avant la musique, ce qui compte avant tout, c’est le respect entre les musiciens. On fait de la musique non pas pour faire du fric, mais avant tout parce que l’on aime les gens et que l’on veut partager notre bonheur d’être sur scène. Chacun a un rôle précis, important et il n’en sort pas en général.

Les morceaux c’est souvent l’un des musiciens qui arrive avec un point de départ - un riff, une mélodie… - et ensuite, on développe cela ensemble. Et lorsque Ludivine daigne se pointer en répèt’, c’est elle qui va savoir nous dire : « Là, il manque telle ou telle chose… Sur ce passage, je rajouterai ça…». En fait, on ne fait rien sans l’aval de Lulu.

RAN : En fait, Ludivine est en quelque sorte la caution musicale de The Verge...
Boodjie : Oui c’est la caution féminine de bon goût. C’est elle qui va savoir identifier tout de suite ce qui va ou ne va pas sur un morceau.

RAN : Et y-a-t-il une raison particulière à ce rôle de figure tutélaire ?
Ludivine : Même si je suis la plus jeune de la bande, c’est peut-être moi qui ai cette sorte de feeling inexplicable. On a tous une histoire musicale avant la création de The Verge, on a tous notre sensibilité musicale et en ce qui me concerne, je fonctionne beaucoup au feeling. J’essaie de me dégager de l’aspect purement technique des choses. Je me mets simplement à la place de l’auditeur et je fais part de mon ressenti.
Ludivine - Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre 2ème album “Million Years”, sorti le 04 octobre dernier* ?
Ludivine : “Million Years” c’est un voyage…

Boodjie : C’est avant tout une belle aventure humaine. Ca fait un peu niais de dire cela mais c’est vraiment la vérité. Par rapport à notre 1er album*, on a été au bout des choses et on a été très exigeant. On voulait faire en sorte de ne pas ressembler à tout ce qui se faisait déjà. C’est difficile parce qu’on a des influences mais on voulait garder une certaine fraîcheur. Actuellement, beaucoup de groupes font des copies de copies. C’est la grande mode en ce moment : « On écoute du Led Zeppelin ? On va faire du Led Zeppelin ». Et en plus, ça marche... Tant mieux pour eux mais on est un groupe français, on se devait de garder cette forme d’originalité.

On n’écoute pas un groupe français comme un groupe anglais. Quand on écoute un groupe français, on va faire cela avec un certain recul, comme pour “filtrer”. Un groupe français, on ne lui laisse rien passer, tandis qu’un groupe anglais, on le prend avec ses défauts...

RAN : Pouvez-vous nous expliquer le choix du visuel de la pochette du disque ?
Ludivine : C’est parti d’une idée, qui n’était pas destinée à devenir la pochette. C’est notre batteur Jam, qui nous a apporté ce montage photo et on a trouvé cela super cool. Et on s’est tous dit : « il faut en faire la pochette ». Ca s’est fait naturellement...
Pochette de l'album "Million Years" de The Verge
RAN : C’est un montage qu’il a fait lui-même ou il est tombé dessus par hasard ?
Boodjie : En fait, Jam adore faire des petits montages comme celui-ci. Il avait mis ces doubles lunettes pour rigoler. Quand j’ai vu le rendu, j’ai appelé Ludivine en lui disant « Il y a un truc avec cette photo. Je ne sais pas quoi exactement, mais cette histoire de doubles lunettes, il y a quelque chose à creuser ». D’ailleurs, on a envisagé de baptiser l’album “Glass is Racked”*. Suite à cela, on a demandé à Jam de retravailler la photo. Il nous a envoyé plusieurs propositions et on a validé la pochette tous ensemble. On savait qu’il se dégageait quelque chose de cette pochette. On essaie de faire en sorte d’être toujours très esthétique dans tout ce que l’on propose, tant au niveau du show que des visuels. On revendique cela. Il faut dire que l’histoire du rock ne manque pas de beaux exemples… Par exemple, “Ziggy Stardust” de David Bowie... 40 ans après, tu t’en prends toujours plein la tronche. Je le regarde 15 fois et je ne m’en lasse jamais.

RAN : Ce que tu me dis Boodjie - cet attachement à l’aspect visuel, de la pochette notamment - me fait un peu penser à ce que disait récemment Liam Gallagher dans “Boomerang”* : « Si le visuel de la pochette est naze, vous pouvez être sûr que la musique est naze… »
Boodjie : Oui... à la différence que nous, on revendique également ce côté théâtral sur scène. De par nos expériences passées avec Lulu, on veut vraiment se diriger au fur et à mesure vers un spectacle plus théâtral, presque un côté cabaret. Ca peut toucher plus ou moins le public mais les retours que l’on a à ce niveau sont très positifs.
Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Votre album précédent “So Close So Far” contenait des sonorités plus pop. Etait-ce une volonté claire de proposer un 2nd album plus rock ou cela s'est-il imposé au fil de l'écriture ?
Ludivine : On a suivi nos ressentis sur scène. On est avant tout un groupe de live, et on observe les réactions du public en concert. On s’observe aussi nous-même et très naturellement, on s’est dit que l’on voulait imprimer une teinte beaucoup plus rock à ce nouvel album. Tout simplement parce que l’on suit le cours de notre histoire et que l’on évolue en même temps que The Verge.

Boodjie : On s’est également aperçu que le public réagissait davantage lorsque l’on jouait davantage avec lui. Au début, j’avais très peur parce que je suis très - trop ? - joueur avec le public… Notre bassiste Jules me disait : « Tu te permets des trucs avec le public, et ça passe… C’est dingue ! ». Du coup, il m’a incité à développer ce côté théâtral. Mais on veut que ça reste très rock. J’adore les vieux films comme “Phantom Of The Paradise” de Brian de Palma ou les films de Fred Astaire... et j’en prends plein la gueule. Même Michael Jackson ou Prince, j’adore. J’allais à tous ses concerts…
RAN : On est sur du très haut niveau-là…
Boodjie : Mais il faut toujours viser très haut, sinon la réalité te ramène très bas ! Bien évidemment, on ne se compare pas aux artistes cités mais on essaie de développer vraiment ce côté visuel. Mais à aucun moment le visuel ne doit dépasser la musique… Il faut que la musique reste sur scène. Et il faut bien jouer car les groupes qui ont des lacunes en la matière ne resteront pas sur scène finalement. Ils sont simplement de passage…
Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Comment se passe la composition des morceaux ? Est-ce un travail collégial ou est-ce le domaine réservé de Ludivine, comme une sorte de dictature (rires) ?
Ludivine : (éclats de rire) Non pas du tout… Souvent, les mélodies ou les thèmes sont apportés par Todd ou Boodjie et ensuite, on les développe tous ensemble.

Boodjie : En fait, sur un riff de guitare par exemple, j’essaie de leur apporter 3-4 façons de chanter et non pas 1 seule fois. Je chante avant le temps, après le temps, après l’accord... J’essaie de réfléchir à mon placement de voix pour laisser de la place aux musiciens. Et inversement, on essaie que les lignes de basse ne bouffent pas le chant… Notre musique est très bien pensée je trouve et c’est pour cela que l’on entend tout sur scène et qu’on passe très peu de temps en balances. on s’est rendu compte que même si parfois on est un peu moins en forme, ça passe toujours car on a cette forme d’énergie canalisée. C’est la façon dont on construit les morceaux qui fait la différence. Mais pour s’en rendre compte, il faut venir nous voir sur scène...

Ludivine : Parfois, on va faire 2-3 versions et on finit par trouver la bonne formule. La voix doit être au service de la musique et la musique au service de la voix… Ca doit se compléter.
Todd - Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Peut-on en savoir plus sur votre travail avec l'auteur anglais Mickael Sivager ?
Boodjie : C’est aussi un très très bon chanteur… En fait, c’est moi qui l’ai rencontré. Avant The Verge, j’avais monté un duo pop / folk qui s’appelait Peace Of Junk. Je voulais chanter en anglais mais je voulais respecter l’anglais, la langue du rock. Je voulais que ça reste cohérent. J’ai rencontré Mickael Sivager par hasard lors d’un concert. On a échangé et je lui ai fait écouter mon chant en yaourt. Et il m’a dit que c’était incroyable car mon yaourt lui faisait vraiment penser à de l’anglais. Et là spontanément, il m’a proposé de m’écrire les textes. A partir de là, tout a été fluide.

D’autre part, il y a Jam qui écrit des textes car il a une bonne maîtrise de l’anglais. Moi j’ai écrit 2 textes qui tiennent la route je pense mais je lui fais corriger à chaque fois pour que ce soit vraiment cohérent et que la rythmique soit bonne.
Jam - Source : © Site Officiel The Verge
Ludivine : Et ce qui est incroyable, c’est que tout se combine à merveille à chaque fois, comme si ça coulait de source… Ce qui est intéressant également par rapport à The Verge, c’est que la voix de Boodjie possède une vraie identité. Elle a un truc particulier qui fait qu’on ne l’oublie pas et on la reconnaît immédiatement.

Boodjie : C’est exactement ce que je recherche. Je préfère qu’on aime ou qu’on déteste ma voix mais surtout qu’elle ne laisse pas indifférent. Quelqu’un qui va venir me dire qu’il ne supporte pas ma voix, ça veut dire qu’elle l’a marqué, qu’elle ne l’a pas laissé indifférent. Ce qui me gène, c’est l’indifférence… même si ça peut surprendre, je suis très fier de cette voix un peu androgyne car je trouve que beaucoup de groupes de rock se ressemblent au niveau vocal. J’aime bien entendre une voix singulière, que tu vas de suite identifier, comme Sting par exemple…

Ce qui est très étrange, c’est que je suis un peu comme John Lennon, c’est-à-dire que je n’aime pas ma voix, je n’aime pas écouter ma voix mais je sais que j’ai quelque chose de spécial dans cette voix. C’est très paradoxal : je déteste ma voix mais je sais que quand je chante, il se passe quelque chose. Je ne dirais pas que je ne maîtrise pas, parce que je maîtrise quand même mais parfois, je me demande même si je suis une femme ou un homme. En plus, maintenant Lulu fait aussi les choeurs et nos voix se combinent bien. Quand Lulu chante avec moi, elle a la même “horloge rythmique” que moi. Je lui chante le passage, elle l’entend et elle va savoir se caler pile poil sur le même tempo que moi.
Boodjie & Ludivine - Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Comme en osmose, en somme...
Ludivine : Oui c’est ça, c’est le bon mot. C’est vraiment une forme d’osmose et c’est surtout une immense richesse…

Boodjie : Je n’ai vraiment pas besoin de dire à Ludivine ce qu’elle doit faire. Elle sent les choses et elle m’impressionne vraiment parfois.

Ludivine : (rire un peu gêné) Et pareillement… (rires)

Boodjie : Et on est très fier d’avoir une fille dans le groupe car elle nous amène beaucoup. D’abord, ça nous apprend à être respectueux et de ne pas lui balancer de la bière dans la tronche… (rires) Parfois, on se risque à une petite vanne mais ça ne va pas plus loin.

RAN : Dans votre musique, on retrouve les sonorités de certains groupes comme Tears For Fears, les Rolling Stones, U2 ou encore The Dandy Warhols. Est-ce que ce sont des groupes dont vous vous sentez proches ?
Boodjie : (un peu gêné) Les Dandy Warhols, j’adore. Merci ! Par contre, quand c’est trop gros, on ne le fait pas. On a quand même des morceaux qui envoient mais quand c’est trop gros, on évite de le faire pour essayer de garder cette espèce de fraîcheur. C’est là que c’est le plus difficile. Parfois, on fait des morceaux qui groovent et on se dit « Si on fait ça, on va les exploser ». Et on se dit que ce serait trop facile. On sait faire le riff qui va déchirer, façon “mur du son”. Mais on voudrait aller au-delà de cela. Je ne sais pas si ça se ressent à l’écoute de l’album mais on a essayé de ne pas sombrer dans la facilité et de faire les choses différemment.

Ludivine : On essaie vraiment d’assembler des influences pour créer l’identité de The Verge.

Boodjie : Quand on crée quelque chose, on se demande à quoi ça nous fait penser et si ça nous convient. On est un peu dans la situation d’une personne qui va dans sa penderie, qui essaie des affaires et qui se demande si ça lui va. Il est primordial que l’on se sente à l’aise dans la musique que l’on propose. Il y a plein d’influences évidemment mais aujourd’hui, c’est “open minded”. C’est-à-dire qu’on ne cherche pas à proposer des trucs bien précis au niveau des influences. Tu vas faire ça quand tu as 16 ans…
Source : © Site Officiel The Verge
RAN : (je l’interrompt) Et c’est le meilleur moyen de te planter…
Boodjie : Oui, complètement ! Nous on écoute énormément de choses différentes et on ne se ferme aucune porte. Par exemple, j’adore les disques de la Motown. Je les ai disséqués... et je prends des claques. Mais je peux aussi prendre une claque en écoutant des groupes de metal. Rammstein par exemple, j’adore !

RAN : Quand tu me dis cela, je pense vraiment à ce que nous ont dit en interview les membres de Last Train*… Il y a des choses qui sont cohérentes à 20 ans, qui ne le sont plus forcément à 35. Eux par exemple, évoluent vraiment dans un registre plus mélodique sur leur 2nd album et lorgnent du côté de Thom Yorke et Radiohead…
Boodjie : (il m’interrompt) J’adore Thom Yorke & Radiohead ! J’ai eu l’occasion de lire votre interview et c’est vrai qu’il y a quelque chose un peu de cet ordre. Le fait de ne pas évoluer peut t’amener à mettre des oeillères et à te complaire dans un certain confort. C’est pour cela que j’adore The Verge car le groupe est composé de personnes d’âges différents et il n’y a pas de hiérarchie liée à l’âge entre nous. J’ai coutume de dire qu’il y a l’expérience de la jeunesse et l’expérience de personnes un peu moins jeunes. J’ai un profond respect pour la jeunesse et je suis toujours très attentif lorsque celle-ci s’exprime. Je suis particulièrement attentif à Lulu lorsqu’elle prend la parole sur un riff par exemple, parce que pour moi, elle a les oreilles qui sont fraîches. Alors que j’ai peut-être les oreilles un peu “conditionnées”... (rires)
Boodjie & Maribel, l'ancienne chanteuse du groupe - Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Ludivine me confiait tout à l’heure que vous pourriez très bien faire du reggae. Est-ce une direction que vous pourriez réellement prendre ? Parce que moi, j’achète ! (rires)
Boodjie : Si tu veux, on peut te le faire juste pour toi (rire général).

Ludivine : Je pense que The Verge a vraiment sa propre identité et on tend vraiment vers l’expérimentation. Pour l’instant, on se concentre sur ce que l’on fait actuellement mais rien ne nous dit qu’on ne peut pas le faire à un moment dans l’avenir. Rien n’est fermé…

Boodjie : Après, on peut le faire pour te faire plaisir mais il ne faut surtout pas que cela devienne un challenge. Il faut que ce soit fun ou irréfléchi pour garder cette fraîcheur. Le reggae c’est aussi une technique très précise. Même si je pose ma voix de la même façon qu’un chanteur de reggae, ça ne sentira jamais le même parfum et ça n’aura jamais le même charme. Il faut être dedans. On pourrait en faire mais je pense qu’il manquerait ce petit truc qui fait la différence. Ou pas… Après tout, The Police s’est bien essayé au reggae…

Ludivine : L’avenir nous le dira…

RAN : Vous avez sorti récemment un clip du titre “Straight Away”. Envisagez-vous d’en réaliser d’autres pour mettre en images certains morceaux de l'album ?
Boodjie : On va essayer mais ce n’est pas évident…

Ludivine : On a les idées mais ce n’est pas si simple. Si des sponsors potentiels lisent cette interview, on cherche actuellement des fonds pour réaliser de nouveaux clips…

Boodjie : En regardant des clips, on s’est aperçu qu’ils véhiculaient de nombreux clichés. Ca se passe soit dans une chambre, soit dans une église, soit dans une usine désaffectée. Là aussi on veut sortir de ces clichés et ce n’est pas forcément évident. Tout a déjà été fait, et comme les gens manquent de fric, ils font le minimum. Avec The Verge, on va essayer de proposer quelque chose de différent, tout en gardant quelques bases. J’aime beaucoup ce clip de “Straight Away” parce qu’il se détache de tout ce qui se fait en ce moment… On veut essayer de se mettre un peu en danger tant sur le fond que dans la forme. On veut proposer quelque chose qui soit cohérent avec l’identité visuelle que l’on tente de créer pour The Verge. L’important ce n’est pas réussir ou de ne pas réussir. La réussite pour moi, c’est de choisir ce que tu as envie de faire. Fais ce que tu as envie de faire et n’aies pas peur de sortir des sentiers battus. Laisse parler ton imagination et ta folie ! Je ne veux pas faire le donneur de leçons mais j’ai envie d’être épaté.
RAN : Quel est le titre dont vous êtes les plus fiers sur “Million Years” ? 
Ludivine : Waouh… (longue hésitation) J’ai envie de parler de “Light My Fire”, qui ne figure pas sur l’album mais que l’on joue en live. C’est une reprise des Doors et l’on a faite à la manière de The Verge… Il y a la mise en scène qui va avec, ça a été pensé mais pour l’entendre, il faut venir nous voir sur scène. Je n’ai pas envie de dire que l’on veut surpasser l’originale parce que ce serait pompeux mais on l’a vraiment revisitée façon The Verge.
Boodjie : En ce qui me concerne, il y a 2 morceaux qui me touchent particulièrement. J’aime beaucoup “But I’m Shy” parce qu’on est typiquement dans un morceau qui tente de s’affranchir des clichés. On a un riff de guitare et normalement, un chanteur de rock enchaîne juste derrière (il me mime le chant)... j’aime beaucoup des groupes comme Television ou les Sex Pistols, et quand tu chantes leurs paroles, il y a ce côté décalé qui fait que tu ne rentres plus dans la chanson. Tu en sors et on ne t’attrape pas. Et ça m’a plu. Quand j’ai fait écouter ça à Jam, il m’a dit que c’était génial parce que c’était exactement ce qu’il aime écouter. Quand j’en ai parlé à Lulu, que je lui ai demandé si elle ne trouvait pas cela trop osé, elle m’a répondu qu’il fallait que je fonce. Et je suis très content de cette façon de chanter le titre, avec ce côté un peu enfantin qui retourne ensuite sur le rock. Ce morceau a une vraie “touch”.
Par ailleurs, j’aime bien aussi “Million Years” parce que le texte me plaît et parce que Lulu m’a incité à modifier ma façon de chanter ce titre parce que ça ne venait pas comme elle souhaitait. Elle trouvait qu’on ne parvenait pas à capter la guitare. Elle m’a fait recommencer jusqu’à ce qu’on sente qu’on avait trouvé le bon ton. Et à ce moment-là, je ne saurais l’expliquer mais… une sorte d’état de grâce. Il s’est passé un truc dans ce morceau que je n’ai pas pu maîtriser et tout venait naturellement. J’avais le sentiment de vivre le morceau et de ne plus être dans le studio. J’avais l’impression d’être en lévitation… et ce texte m’a touché. Pourtant, je le connaissais pour l’avoir écrit mais quand j’ai chanté « Quand le monde deviendra poussière…», j’avais l’impression de dire plein de choses à travers cette simple phrase. Et j’aime bien les choeurs des enfants à la fin aussi. En fait, quand je chante sur certains morceaux comme celui-ci, je sens que c’est bien mais je sais qu’une fois que Lulu aura posé aussi sa voix dessus, ce sera très très bien… parce qu’on ne rend pas compte à quel point les voix de Todd et de Lulu sont importantes dans cet album. Dès qu’on les enlève, le rendu est de suite moins bon. Sur scène, on arrive vraiment à faire passer cela...

Ludivine : La voix de The Verge c’est Boodjie mais il a cette capacité d’anticiper ce que Todd & moi on va pouvoir proposer, même lorsqu’il écrit un morceau. Il va arriver et nous dire : « A ce moment-là, vous pourriez faire telle ou telle chose...». Il a tout en tête et c’est impressionnant quand on le voit à l’oeuvre.
RAN : Un esprit foisonnant, en somme…
Ludivine : Exactement !

RAN : Justement, le public doit-il s'attendre à des petites surprises sur le live ?
Ludivine : Sans rien dévoiler, j’invite les gens à reprendre ce qu’on a dit précédemment dans cette interview et Boodjie a disséminé quelques indices par rapport à notre orientation scénique dans ses réponses précédentes…

Boodjie : C’est toujours délicat. Si on offre un cadeau sans l’emballage, le cadeau n’est pas le même. Et on voudrait vraiment que le public puisse retirer l’emballage pour découvrir le cadeau. C’est pour cela que c’est délicat de donner des indices car cela gâcherait un peu le plaisir. Mais ce que je peux dire aux gens qui veulent venir nous voir en live, c’est qu’il se passe forcément un truc de dingue à chacun de nos concerts…

RAN : Je comprends… Justement, auriez-vous un exemple d’anecdote de live à nous livrer ?
Boodjie : Parfois, des gens du public montent sur scène par exemple. On a même eu une gamine de 4 ans qui a supplié sa mère de la laisser monter sur scène. Elle s’est mise à danser, c’était mignon... Une autre fois, c’était une dame de 89 ans, ou les ¾ du public qui sont montés sur scène. Tout le monde était heureux et on aime ça. On aime l’esthétisme, d’autres groupes proposent autre chose - comme Shaka Ponk avec un show plus tribal - mais pour nous, l’esthétisme est primordial.

On a fait également un concert à Enghien il y a quelques temps et tout à coup dans le public, un mec s’est mis à gueuler : « Je suis un rappeur, j’aime pas le rock mais vous, je vous kiffe ! ». On a trouvé ça extraordinaire.
Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Nous avons appris récemment que le bassiste qui officiait sur les 2 premiers albums - Jules Brosset - quittait le groupe. Avez-vous déjà trouvé son successeur ? Si oui, pouvez-nous nous le présenter en quelques mots ?
Ludivine : On adore Jules et Jules nous adore. Ce sont simplement 2 trajectoires qui se séparent.

Boodjie : Jules a une forte personnalité et peut-être qu’il n’avait pas toute la latitude pour s’exprimer au sein du groupe. C’est quelqu’un que j’adore mais il a - je pense - besoin d’être “devant” d’une autre façon…

Ludivine : (elle interrompt Boodjie) C’est avant tout une question d’évolution, je pense. C’est comme dans la vie de tous les jours. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’on t’aime Jules ! On a des influences, on avance avec des personnes et un jour, on évolue.

Boodjie : Parfois aussi, on s’aime mais on ne parvient pas à s’entendre. Le plus important, c’est de respecter le choix de la personne. Une chose est sûre : si on a besoin de lui pour nous accompagner sur certains concerts, on sait qu’il répondra toujours présent. Et c’est déjà énorme ! Je sais que quand il fait des concerts avec nous, il s’éclate. Après, peut-être y-a-t-il des raisons que l’on ignore mais le temps apporte les réponses… Jules fera toujours partie de la famille The Verge.
Jules Brosset, l'ancien bassiste de The Verge - Source : © Site Officiel The Verge
RAN : C’est effectivement l’essentiel. Avez-vous déjà trouvé son remplaçant ?
Boodjie : Non, parce qu’on n’a pas cherché. On veut que les choses se fassent naturellement. S’il s’avère qu’on trouve une fille bassiste, ce sera très bien et si c’est un mec, ce sera très bien aussi.

Ludivine : Je pense que l’on ne s’est pas posé la question parce que quand le groupe était au complet, cette problématique ne se posait pas donc on n’y était pas forcément préparé et je suis convaincue que les choses vont se faire en douceur.

RAN : Quelles sont vos prochaines dates de concert ?
Boodjie : En fait, en 2020 on veut tout miser sur le concert de Paris, où on va tâcher d’avoir des invités, des gens qui aiment le rock, des gens d’autres groupes… On nous propose des dates mais on s’est dit que l’album venant de sortir, il faut d’abord s’atteler à en faire la promo et faire aussi la promo du clip. Parce que si le clip ou les morceaux attirent l’attention d’une radio, que des médias comme vous nous font connaître à de nouvelles personnes, on va pouvoir ensuite avoir des propositions de concerts. Pour l’instant, on est de l’ordre du 50/50 : un coup c’est nous qui sollicitons, la fois d’après, on nous sollicite.

Mais si certains craquent sur l’album ou le clip et parlent de nous de façon positive, on n’aura pas besoin d’aller courir chercher des dates. Il nous faut d’abord faire un beau concert à Paris et inviter un maximum de gens qui peuvent nous servir de relais. C’est un pari. Peut-être que ça marchera… ou pas. Mais quoi qu’il en soit, on assume ce choix. On a déjà fait 2 concerts à Paris qui ont très très bien marché. ce sera notre 3ème concert parisien mais la différence c’est que les gens qui sont venus au 1er concert sont revenus au 2nd, et que les gens qui ne sont pas allés au 2ème concert vont venir sur cette nouvelle date avec ceux du 1er concert. On vise cet effet boule de neige. On voudrait que le public de ce concert soit essentiellement des gens du rock, des gens qui aiment et connaissent le rock. On va filmer, on va faire ce qu’on a envie et on va leur offrir un show qui, je l’espère, sera de bonne qualité. En tout cas, ce sera sincère, on y aura mis tout notre coeur.
RAN : Ce sera une sorte de showcase réservé aux professionnels ou les fans pourront-ils y assister ?
Boodjie : Ce sera bien évidemment ouvert à toutes & tous. On est en train de chercher un lieu pour organiser cette date mais une salle coûte terriblement cher et les gestionnaires de salles de concert n’aident pas vraiment les groupes français. Car ils sont dans une logique de rentabilité. Ils n’en ont rien à foutre que ce soit un groupe de rock ou de zumba, tant que l’argent rentre. La seule chose qui les importe, c’est que tu libères les locaux à l’heure car il y a un autre groupe qui arrive derrière. On a changé de monde…

Ludivine : On a perdu ce respect de l’artiste.

Boodjie : Même si la conjoncture impose ce besoin de rentabilité, on essaie de trouver une salle qui convienne à ce que l’on veut proposer. Moi j’aime beaucoup le Trianon car je trouve que cette salle a une âme...
Source : © Site Officiel The Verge
RAN : Personnellement, j’adorerais vous voir au Trabendo. Je trouve que cette salle vous correspondrait à merveille…
Boodjie : C’est curieux que tu nous dises cela car on en a parlé justement du Trabendo. Si tu as le même ressenti que nous, allez hop… on va se faire cette date au Trabendo (rires). On va tâcher de signer le Trabendo…

RAN : Et dans ce cas, RAN vous amènera des animateurs de la vie culturelle rémoise au Trabendo, à commencer par le Directeur de la Cartonnerie de Reims, Cédric Cheminaud, qui est toujours en recherche de groupes talentueux méconnus…
Ludivine : (avec une voix langoureuse) Salut Cédric Cheminaud, de Reims… (rires) La Carto semble proposer des choses intéressantes et en plus, Reims ce n’est pas loin de chez moi*.

Boodjie : Eh ben du coup, on passe direct à Reims en rentrant… (rires)

RAN : Merci à vous de m'avoir répondu. Que peut-on souhaiter à The Verge pour l'avenir ?
Ludivine : Le partage avant tout ! Parce qu’on a besoin du public pour partager. Et on souhaite vraiment communiquer notre univers à celles & ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de nous écouter, leur communiquer notre message musical, notre sincérité et notre passion.

Boodjie : Moi ce que j’aimerais, c’est que tous les groupes de rock français soient solidaires entre eux et qu’ils ne se tirent pas dans les pattes car ce n’est pas leur intérêt. Il y a eu une petite guéguerre des groupes dans les années 70-80 et ça ne nous a pas réussi. J’en parle en connaissance de cause. Il y avait cette forme de concurrence, un peu comme certains rappeurs aujourd’hui. Et j’ai envie de leur dire qu’on a une chance unique de faire vivre le rock. Je ne dirais pas que l’on a une mission mais on a la possibilité de soutenir le rock et de le porter. Donc respect à tous les chanteurs / chanteuses de rock, à tous les bassistes et plus globalement à tous les musiciens de rock… Big up ! Merci beaucoup à toi en tout cas !

Ludivine : Merci beaucoup à toi Manu !



Propos recueillis par Manu de RAN le 24 octobre 2019


*NDLR : Album dont vous retrouverez ma chronique à l'adresse suivante : https://rockalternativenews.blogspot.com/2019/10/album-review-million-years-de-verge.html

*NDLR : Ce 1er album intitulé “So Close So Far” est sorti en 2017

*NDLR : “Glass is Racked” = “Le verre est rayé” en français

*NDLR : Retrouvez l’émission culturelle “Boomerang” animée par Augustin Trapenard du lundi au vendredi à 9h10 sur France Inter

*NDLR : Vous pouvez retrouver notre interview de Last Train à l’adresse suivante : https://rockalternativenews.blogspot.com/2019/10/interview-last-train-on-veut-faire-du.html

*NDLR : Même si The Verge est composé essentiellement d’artistes franciliens, Ludivine est en revanche originaire de Saint Quentin, dans l’Aisne.
Source : © Site Officiel The Verge
Site Officiel The Verge => https://www.theverge.band/




Spotify => https://open.spotify.com/artist/5VcPlLwtkygnBc3y8o9VqA?si=OC7LMEyHQZ6yu4rD_B3gQA





Je souhaite remercier de tout coeur Ludivine & Boodjie pour leur confiance, leur bienveillance, leur disponibilité et leur bonne humeur. Leur gentillesse n’a d’égale que leur talent. Merci infiniment !

Je clôturerai cette nouvelle rencontre très enrichissante par une citation de Jean Cocteau, qui me semble convenir à merveille au groupe The Verge : « Ce que la vindicte te reproche, cultive-le, c’est toi ! »