jeudi 9 janvier 2020

4 ans après : Retour sur "Blackstar", l'album chant du cygne de David Bowie

Credits Photo : © Sony Music
Vous ne pensiez tout de même pas y échapper ?? Il est écrit que depuis 4 ans maintenant, cette 2nde semaine de janvier serait immanquablement chaque année la semaine David Bowie...

En effet, tandis que les fans du monde entier apportent les dernières touches aux hommages prévus un peu partout demain, à l'occasion du 4ème anniversaire du décès du Starman, ce mercredi 08 janvier marquait également non seulement l'anniversaire de Bowie - qui aurait eu 73 ans - mais aussi l'anniversaire de la sortie de son oeuvre crépusculaire “Blackstar”, sortie le jour de ses 69 ans, soit 3 jours avant son décès. Et pour rendre un hommage à l'une des icônes de la pop & du rock, quoi de mieux que d'évoquer sa dernière oeuvre majeure - “Blackstar” - qui, 4 ans après sa sortie, n'a toujours pas livré tous ses secrets, j'en suis convaincu...
Credits Photo : © Vice
Le dernier album de David Bowie est donc sorti le jour de ses 69 ans, et ce n'est pas innocent. Manifeste audacieux, “Blackstar” prouvait que cette icône de la pop n'en avait pas terminé avec la réinvention de sa musique. Alors que l'on a appris sa mort à peine 3 jours plus tard, “Blackstar” prend un tout autre relief. Une question émerge de suite : aurait-il été conçu comme un album-testament, un chant du cygne ?

Alors que “The Next Day”, qui a marqué son grand retour en 2013, a montré que David Bowie n'avait rien perdu de son goût pour l'expérimentation, celui-ci l'éloigne encore davantage des conventions rock-pop, comme l'avait annoncé son fidèle ami-accoucheur-producteur Tony Visconti, toujours aux manettes. Afin d'assouvir sa soif d'innovation, le Thin White Duke a composé et enregistré ce 25ème album en compagnie d'un petit noyau de musiciens new yorkais de jazz d'avant-garde férus de musique électronique, au sein duquel brille le saxophoniste Donny McCaslin et ses échappées free. Les deux premiers titres partis en éclaireur, “Blackstar” puis “Lazarus”, composé pour la pièce qu'il a imaginée pour Broadway comme une suite à “l'Homme qui venait d'ailleurs”, donnent un aperçu du programme, plus complexe, sombre et mystérieux que jamais.
Credits Photo : © Mix Down Mag
Je vous entends d'ici me dire : « Oula, du jazz expérimental ! Cérébral et forcément un peu pénible ». Certes, “Blackstar” n'est pas un album de pop. Il ne drague pas la bande FM - ironie de l'histoire, puisqu'il sera allègrement diffusé par celle-ci du fait de la vague d'émotion suscitée par le décès de Bowie - tente d'éviter les vieilles recettes et trace son chemin loin des sentiers battus. Mais il est passionnant musicalement et ne laisse pas l'auditeur à la porte.

Siphonnée, cauchemardesque et divisée en 3 mouvements dont un splendide, la chanson titre “Blackstar”, accompagnée d'un clip hanté, est d'ailleurs le morceau le plus ouvertement risqué de ce disque. L'objectif est simple : faire du neuf, éviter le rock n' roll à tout prix et proposer une oeuvre complexe à l'avant-garde du jazz. Après avoir écouté l'album entier, 42 mn et 7 chansons, je ne suis pas loin de penser que David Bowie a surjoué avec ce titre sur l'effet d'innovation et de mystère pour surprendre et intriguer. Et qu'il l'a placé habilement en ouverture et s'est battu avec son label pour en faire le 1er single. D'ailleurs, vous savez peut-être pourquoi il existe 2 versions de ce titre “Blackstar”... Bowie ne souhaitant pas transiger sur le fait que la piste-titre devait introduire cet opus, contre l'avis de sa maison de disques, il a préféré raccourcir la piste à 9mn57 pour que celle-ci puisse apparaître en tant que single sur iTunes. Car la plateforme de la marque à la pomme ne considère comme “singles” que les titres n'excédant pas 10mn... Assez logiquement, Bowie a donc choisi de proposer 2 versions différentes du titre “Blackstar”, une en format iTunes et une en version intégrale.
Credits Photo : © Greenroom
Il y a bien les relectures de “Sue (Or In A Season Of Crime)” et sa face B “Tis A Pity She Was A Whore” - parues dans une autre version en 2014 - 2 morceaux de bravoure légèrement cacophoniques saturés de rythmiques épileptiques et de saxophone éruptif. Placées en début d'album, après “Blackstar”, ces chansons denses, fourmillantes d'accords bizarres et d'arrangements osés, impriment une tonalité très avant-gardiste à cet album. « C'était précisément l'objectif », si l'on en croit les déclarations de Tony Visconti, missionné une fois de plus pour parler à la presse. Le but de “Blackstar” était - selon lui - de conjurer tout regard dans le rétroviseur, toute référence au passé et de faire quelque chose de neuf.
Pourtant, passé l'effet de sidération de cette 1ère partie d'album, qui comprend d'ailleurs aussi le majestueux “Lazarus” composé pour la comédie musicale du même nom imaginée par Bowie et jouée à Broadway quelques semaines avant le décès du maître, on revient à quelque chose de plus abordable et moins éprouvant pour les nerfs. Dominées comme tout l'album par sa voix élégante que le poids des années a peu altérée, “Dollar Days”, “I Can't Give Everything Away” et dans une moindre mesure “Girl Loves Me”, sont des chansons à la beauté intemporelle.
Credits Photo : © NME
Sur “I Can't Give Everything Away” qui referme le disque, David Bowie chante « Je ne peux pas tout livrer, dire non mais vouloir dire oui, c'est tout ce que j'ai toujours voulu dire, c'est le message que j'envoie ». Il serait tentant d'y déceler le message ultime du maestro... Mais bien malin(e) celui - ou celle - qui parviendra à décoder l'ultime message de l'Etoile noire. Chercher à interpréter ses mots est une fausse piste. “Blackstar”, avec ses mélopées orientales et son évocation d'exécution, serait ainsi une référence au groupe Etat Islamique selon le saxophoniste McCaslin dans une interview à la presse anglaise. Interprétation aussitôt démentie par un porte-parole de Bowie himself. Publié quelques jours après la sortie mondiale de “Star Wars : Le Réveil de la Force”, “Blackstar” serait selon certain(e)s fans pur(e)s et dur(e)s une allusion à peine voilée à l'arme secrète de l'Empire créé par George Lucas. Même si cela semble peu probable, cela démontre bien la multitude d'interprétations qui peut ressortir de ce titre et de cette pochette... Pour épaissir encore le mystère, Bowie s'exprime sur “Girl Loves Me” dans un sabir incompréhensible inspiré des vocabulaires cryptés du nadsat - argot anglo-russe mis au point par Anthony Burgess pour son roman “Orange Mécanique” en 1962 - et du polari, utilisé par la culture gay underground.
Source : © Capture d'écran YouTube
Dans ces conditions, il faudrait moins s'attacher au sens des mots qu'au rythme de sa voix, presque rap sur “Girl Loves Me” - David Bowie avait lui-même reconnu que durant la composition de "Blackstar", il avait beaucoup écouté Kendrick Lamar et s'en était sans doute inspiré, consciemment ou inconsciemment - et à ce qui frémit sous la surface de cet opus obsédant et globalement pessimiste. Mais qui ne le serait pas au crépuscule de son existence ?
Mais avant de s’en aller, David Bowie avait pris soin de dissimuler un très joli secret dans son dernier album... « Stars are never sleeping, dead ones and the living ». Après le décès de l'interprète de “Ziggy Stardust”, l’album “Blackstar” semblait sonner comme un ultime adieu, un dernier cadeau à ses très nombreux fans. Selon les déclarations de son producteur, David Bowie avait pourtant prévu d’enregistrer un autre album mais savait tout de même que les mois lui étaient comptés. En réalité, l’étoile noire qui orne la pochette de l’album n’est finalement pas aussi sombre qu’il n’y paraît car elle contient un joli secret. Lorsque la pochette du vinyle est exposée aux rayons du soleil, l’étoile noire se met à scintiller pour devenir une galaxie... C’est simple, c’est brillant, c’est magique. Du Bowie tout craché. Et une preuve de plus que son génie et sa musique sont immortels. Une réussite de plus pour cet artiste polymorphe qui ne cesse de renaître de ses cendres.
Source : © Capture d'écran YouTube
Pour manifester son enthousiasme, le - d'ordinaire très pondéré - New York Times s'est livré à une envolée lyrique étonnante, à la limite de l'intelligible. Un texte énigmatique qui a tellement plu au Starman qu'il en a partagé des extraits sur les réseaux sociaux : « des éclairs glaciaux de shoots d'ecstasy transpercent tels une supernova la boue glamour de “Lazarus”, cette formidable et ahurissante pièce musicale construite autour des chansons par David Bowie ».

Pourtant, de nombreuses personnes ont critiqué la simplicité de la pochette de l’album, mais je pense qu’ils ont mal interprété cette simplicité. C’était celle d'un homme qui faisait face à sa propre mort. Le symbole de cette étoile noire magnétique, c’est comme une sorte de finalité, l’obscurité, la simplicité, qui représentent la musique de l’album d'un génie torturé qui n'a plus rien à perdre. David Bowie a décidément fait en sorte que son génie se manifeste encore et toujours de manière inattendue. C'est finalement dans la chanson “Lazarus” que l'icône énonce, sous le vernis de la fiction de l'Homme qui venait d'ailleurs, l'une de ses vérités les plus personnelles et constantes en tant qu'artiste : « d'une façon ou d'une autre, je serai libre ».
Pochette de l'album "Blackstar" de David Bowie (2016)
“Blackstar” de David Bowie, LP 7 titres sorti le 8 janvier 2016 chez Columbia Records / Sony Music

Tracklist :
1. Blackstar (9:57)
2. ‘Tis a Pity She Was a Whore (4:52)
3. Lazarus (6:22)
4. Sue [Or In a Season Of Crime] (4:40)
5. Girl Loves Me (4:51)
6. Dollar Days (4:44)
7. I Can’t Give Everything Away (5:47)

Credits Photo : © Gonzo Music


Manu de RAN


Bibliographie : France Info / Rock & Folk / L'Express / Le Nouvel Observateur

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