mardi 28 décembre 2021

Live Report: THE JESUS AND MARY CHAIN au Bataclan Paris le 05/12/2021


 Dimanche 5 décembre 2021, un dimanche froid et humide. Nous avons rendez-vous avec The Jesus And Mary Chain qui jouent ce soir au Bataclan. Le temps est de circonstance avec cette tournée qui s’articule autour de l’album « Darkland », dans lequel Jim Reid clame qu’il est heureux quand la pluie tombe. Nous arrivons un peu avant l’ouverture des portes et la file d’attente ne comporte que quelques personnes suffisamment motivées pour se geler un peu dehors. Heureusement il ne pleut plus. Nous sommes dans les premiers, nous serons donc au premier rang, c’est une bonne chose.




La première partie est assurée par un groupe écossais Rev Magnetic. Leur musique oscillant entre shoegaze et dream pop avec quelques textures R&B est ma foi intéressante. On apprécie particulièrement les nappes de guitares et l’incursion du violon. Seul point noir à ce tableau musical, les balances ne sont pas parfaitement réalisées et ne mettent pas en valeur les subtilités de la musique proposée par le groupe de Glasgow. Après les quelques minutes nécessaires pour apprivoiser ce style de musique, le public semble être convaincu et apprécier. Luke Sutherland s’étant blessé lors d’un précédent concert, une rupture du tendon d’Achille, il a une jambe dans le plâtre qui l’oblige à faire son concert assis, ce qui ne l’empêche pas d’assurer ses parties de guitare et de violon. C’est donc la bassiste, Audrey Bizouerne, une Française installée à Glasgow, qui assure le show sur scène, le second guitariste adoptant la posture shoegaze. Petite mention spéciale au batteur, Sam Leighton, qui lui aussi aura assuré sa partie avec brio. Certains rythmes nous rappellent d’ailleurs l’âge d’or du post punk, autre influence qu’il faut ajouter à Rev Magnetic, notamment celui de la nouvelle chanson (dédicacée à Hélène). Une belle première partie donc, d’un groupe à suivre (en plus ils sont écossais).




Les Jesus And Mary Chain pénètrent sur la scène bien évidemment plongée dans une quasi-obscurité et les nappes de fumée. Jim Reid, maintenant qu’il s’adresse au public, nous annonce le programme. Le concert est composé de deux sets. Dans le premier, c’est l’album Darklands, le second album du groupe qui date de 1987, qui sera joué en intégralité. Le second set sera lui composé de titres de divers albums qui devraient rappeler des souvenirs aux plus anciens de l’audience. Ce premier set est sans surprise, mais on redécouvre cet excellent second album du groupe, un de leurs meilleurs, parfaitement interprété ce soir. Jim et William Reid, les deux frères, ont changé depuis leurs débuts, mais la musique elle est toujours aussi intéressante, même s’il n’y a plus la découverte qui accompagnait celle-ci dans les années 80, les Jesus And Mary Chain ont été les précurseurs de ce qui sera ensuite le shoegazing. Mais l’attitude a changé. Fini l’arrogance des débuts, Jim s’adresse au public, certes de manière encore parcimonieuse, et finalement on préfère ça. Le son est impeccable, ni trop fort, ni trop faible, on distingue bien tous les instruments. Les riffs et solos de William sont fidèles à ce qu’on a toujours connus et finalement appréciés : simples mais terriblement efficaces, on le réalise de nouveau avec l’intégralité de Darklands.




 

La voix de Jim Reid, qui n’a jamais été très puissante, a gardé sa clarté malgré les années qui ont passé. Bon, Jim garde tout de même certains vieux réflexes comme celui de tourner régulièrement le dos au public, mais il n’y a plus de défi dans ce comportement. On s’achemine donc dans une atmosphère tranquille vers la fin du set, l’album « Darklands » privilégiant les atmosphères et les mélodies. Après un petit break de cinq minutes les musiciens reviennent sur scène pour le second set. Nous observons un changement, plus de rythme dans ce second set. Le groupe a choisi pour cette tournée 2021, des titres de toutes les époques, mais capables de faire bouger le public.




 
On débute avec « Happy Place » que les JAMC n’avaient pas joué depuis 1988, avant d’enchaîner sur le rythmé « Everything’s Alright When You're Down » datant de 1987 mais pas joué depuis 1992. Sur « Taste of Cindy », tiré de Psychocandy, ça commence à remuer dans la salle, et tout le monde reprend en chœur les ho ho ho. Puis nous avons droit à deux titres, anciens mais jamais joués en live avant cette tournée de 2021, « Drop » de 1989 et « God Help Me » de 1994. On voit que le public est moins familier avec ces chansons. Le titre le plus récent est « Up Too High ». « I Love Rock n’ Roll » remet la pêche, et le set se termine en apothéose, le public se déchainant de plus en plus sur les derniers titres comme « Moe Tucker », « Come On » et le strident « Kill Surf City », des chansons qu’on avait plus entendues depuis les années 90 en live. On sent les coups dans le dos. Bon, cela reste tout de même très raisonnable, on a déjà beaucoup plus souffert en fosse. Mais ça bouge enfin. Et Jim Reid se fend de remerciements au public pour être venu les voir.





Le rappel commence par le classique «Just Like Honey» pour lequel Jim est rejoint au chant par Audrey des Rev Magnetic, et le concert se termine par une de leur toute premières chansons « Never Understand ».






Rien de neuf donc dans ce concert en termes de musique, mais une plongée un peu nostalgique dans cette décade de la fin des années 80 à 90. Un groupe et un public apaisés, qui ne cherchent plus qu’à se faire plaisir sans excès. Hé bien, moi j’achète, car on en sort finalement contents, on a passé un très bon moment, avec de la bonne musique, un excellent light show, et dans une bonne ambiance. Les excès seront pour l’après pandémie !

Setlist:

  1. Darklands
  2. Deep One Perfect Morning
  3. Happy When It Rains
  4. Down on Me
  5. Nine Million Rainy Days
  6. April Skies
  7. Fall
  8. Cherry Came Too
  9. On the Wall
  10. About You
Second set
  1. Happy Place
  2. Everything's Alright When You're Down
  3. Taste of Cindy
  4. Drop
  5. God Help Me
  6. Up Too High
  7. I Love Rock 'n' Roll
  8. Moe Tucker
  9. Come On
  10. Kill Surf City
Rappel:
  1. Just Like Honey (avec Audrey Bizouerne)
  2. Never Understand

Jean O de Rock Alternative News



Live Report: AND ALSO THE TREES à La Maroquinerie Paris le 29/10/2021



Enfin! La maroquinerie est ouverte. Quelques jours après la réouverture de la salle de concert que nous affectionnons particulièrement chez RAN, nous avions rendez-vous avec le groupe de post punk And Also The Trees. Quel bonheur de fouler de nouveau la (petite) salle parisienne que nous avions quitté en mars 2020 après le superbe concert d’Algiers. Et qui plus est pour voir le quintette britannique And Also The Trees que nous attendions de pied ferme depuis le 5 juin 2020, date initiale maintes fois reportée. Mais nous y voilà, nous étions présents, le public aussi, le concert est sold out, ainsi que le groupe, ce qui n’est pas si évident à cause de la pandémie et du brexit qui conjuguent leurs efforts pour faire avorter les tentatives de concerts des groupes britanniques de ces derniers mois. Nous retrouvons aussi avec bonheur les habitués des concerts que nous n’avions pas vus depuis un moment pour certains d’entre eux.





Pas de première partie pour ce concert, ce qui nous permet de papoter gentiment pendant presque une heure et demie avec ceux qui nous ont accompagnés ou ceux que nous n’avions pas vus depuis quelque temps. La Maroquinerie a fait peau neuve, mais il faut avouer que nous ne percevons certainement pas tous les changements tellement les souvenirs sont maintenant anciens.
Le concert commence avec l’arrivée de Justin Jones, le guitariste, qui commence à nous emmener sur les chemins un peu austères de la musique du groupe anglais en bricolant les sons de sa guitare comme il sait si bien le faire. C’est ensuite Simon Huw Jones, le chanteur et leader de la formation, qui apparaît, s’avançant lentement sur la scène de manière très théâtrale. Ils sont bientôt rejoints par Colin Ozanne qui les accompagne au saxophone.  Le concert est lancé, le ton est donné, nous aurons droit à tout ce qui fait la saveur de And Also The Trees, à savoir un concert conçu comme une vraie pièce de théâtre composée de mélodies imparablement belles, ponctuées par les textes poétiques écrits par le chanteur. C’est particulièrement vrai avec le premier titre qui suit l’intro, « My Face Is Here In The Wild Fire », déclamée plus que chantée, nous sommes dans la poésie romantique et sombre d’un mois de novembre.




Pendant, donc, que Simon nous joue sa pièce, toujours aussi habité par son rôle, Justin Jones, lui, nous distille les multiples sonorités de sa guitare, passant du son de la mandoline à celui plus aérien obtenu par son ebow. Les autres musiciens ne sont pas en reste, le bassiste Grant Gordon, aux faux airs de Peter Hook (quelques kilos en moins cependant), nous assène ses phrasés typiques du post punk et de la new wave, tandis que le batteur nous abreuve de ses frappes sèches et ses froissements de cymbales. Colin Ozanne, quand il n’accompagnera pas ses compères à la guitare, habillera tout cela de ses touches de clarinette envoutantes, qui nous charmeront comme si nous étions des serpents à sonnettes, ou l’enveloppera de ses nappes de claviers brumeuses comme les matins d’automne. C’est une pièce tout en introspection qui se joue devant les spectateurs, une tension intérieure communiquée par Simon, même si parfois la musique se termine dans le plus beau des fracas. Le public, majoritairement des fans de la première heure, est en pleine communion avec les musiciens, accompagnant les changements de rythmes de leurs encouragements, et ponctuant chaque fin de morceau par un tonnerre d’applaudissements. Les musiciens seront sensibles à cette ferveur et Simon remerciera le public à de nombreuses occasions. 



Le dernier acte du set sera de toute beauté avec la parfaite « Dialogue », à la Stranglers, la magnifique et très dark, à la Bauhaus, « This Is Silence », une des premières chansons du groupe, et la gothique, à la Sisters of Mercy, « Virus Meadow ». Les musiciens quittent la scène, le public réclame bien évidemment un rappel à grand bruit. Après les deux premières chansons du rappel, Simon s’inquiète de l’heure et vient vérifier celle-ci auprès d’un des spectateurs du premier rang, et fait signe au reste du groupe de lancer le titre qui clôturera la soirée « Slow Pulse Boy ». 40 ans après leur formation, les And Also The Trees savent toujours nous offrir des moments de pure beauté artistique et une émotion largement partagée par le public. On ne pouvait espérer mieux pour retrouver La Maroquinerie !






Setlist :

  1.   Intro
  2. My Face Is Here in the Wild Fire
  3. Vincent Craine
  4. Shantell
  5. Your Guess
  6. Maps in Her Wrists and Arms
  7. The Suffering of the Stream
  8. Wallpaper Dying
  9. Rive Droite
  10. Boden
  11. (in a bed in) Yugoslavia
  12. Brother Fear
  13. Missing
  14. Dialogue
  15. So This Is Silence
  16. Virus Meadow
Rappel:
  1. Prince Rupert
  2. Bone Carver(s)
  3. Slow Pulse Boy


Jean O de Rock Alternative News


mardi 16 novembre 2021

Live Report : Last Train/Bandit Bandit live à Troyes le 13.11.21

 


Il m'aura fallu 1 an, 8 mois et 10 jours avant de remettre les pieds dans une salle de concert (soit 620 jours pour être exact). Vous allez me demander si il n'y avait pas de concert intéressant à voir avant ? Si bien sûr, mais je voulais absolument recommencer à ressortir  en concert avec le groupe qui me fait le plus vibrer depuis 2015 ... Last Train. Et c'est Nos Rêves Font Du Bruit qui a exaucé mon souhait le plus cher en organisant son premier festival à Troyes ce 13 novembre 2021 (date hautement symbolique et chargée en émotions). Et cerise sur le gâteau de la taille d'une pastèque (si vous me permettez l'expression), ils ont également réussi à faire venir les Bandit Bandit que je suis et soutiens depuis le jour de la sortie de leur premier single "Maux". J'ai eu la chance de voir ces deux groupes au Trianon à Paris en novembre 2019, et j'arrive encore à me mettre les poils rien qu'en repensant à cette soirée plus que mémorable. Donc, il m'était impossible de rater cet événement. Et j'ai appris pendant la soirée que c'était Matthis des Balcon 76 qui avait eu l'idée de lancer ce festival à Troyes, et bien merci mec !!! Car toutes les personnes présentes en sont ressorties avec des étoiles plein les yeux. J'ai malheureusement raté les Balcon 76 qui ont ouvert la soirée, mais les quelques vidéos que j'ai vu passé sur les réseaux étaient vraiment excellentes. Je suis arrivé une quinzaine de minutes avant que les Bandit Bandit arrivent sur scène, et lorsque que je suis entré dans la salle, le public était présent et avait l'air d'être heureux de se retrouver après cette sombre période que nous venons de traverser tous ensemble.



Ça y est les lumières s'éteignent. Antho (le batteur), Ari (le guitariste/bassiste) et Hugo (guitariste) arrivent sur scène et entament les premières notes du single "Néant", extrait de leur 2ème ep Tachycardie sorti en juin dernier, avant de voir Maeva arrivée sur scène. Le set du groupe est excellent et envoie à la perfection leur rock teinté de néo-psyché (comme me le disait Hugo dans l'interview qu'il m'a accordé cet été, qui est à lire ici), au public Troyen qui est littéralement conquis. Le groupe a gagné en assurance sur scène, et est en pleine forme ce soir, et le public est bien réactif. Le quatuor était venu jouer la première fois à Troyes au The Message (disquaire que je vous conseille si vous passez dans ce coin) en octobre 2019, et n'a pas oublié de l'évoquer pendant son concert, et j'avais eu l'immense honneur de les interviewer avant ce show case (interview à lire ici). La casi intégralité des titres du groupe est jouée, et le set a une dynamique incroyable. Nous avons eu "Fever", "Siamesse Love", "Maux", "Tachycardie" ... sans oublier le magnifique "Désorganisée" introduit par un petit message de Maeva évoquant le #morewomenonstage, lancé par Lolla des Pogo Car Crash Control qui motive les filles à prendre une guitare et à monter sur scène. Le set du groupe ainsi que les jeux de lumières sont juste incroyables, et ils sont répartis sous une avalanche d'applaudissements plus que méritée.




Mon histoire avec Last Train a commencée avec la diffusion du titre "Fire" dans l'émission Pop Rock Station de notre cher Tonton Zégut. Après avoir entendu 2 ou 3 fois le titre passé dans sa cultissime émission, je me suis procurer leur premier ep, et c'est là que je suis tombé littéralement amoureux de leur musique, mais aussi de leurs concerts endiablés, car Last Train est un groupe de scène avant d'être un groupe de studio, et toutes les personnes les ayant vu jouer en live vous le diront. 




Contrairement à leurs amis de Bandit Bandit, les lumières se sont misent à nous éblouir avant l'arrivée de Tim (le bassiste) et Antoine (le batteur) pour entamer les premières notes du très endiablé "Dissapointed" avant de voir arriver Julien (le guitariste) et Jean-No (le chanteur/guitariste/frontman) sous une ovation digne de ce nom. Le groupe ayant repris les concerts depuis 2 jours est au taquet et heureux de pouvoir se reproduire sur scène dans le cadre d'une nouvelle tournée qui passe par de nombreuses villes en France, mais aussi en Hollande, Belgique et Allemagne. Le set est différent de celui qu'ils avaient avant la pandémie et fonctionne à merveille avec de nouvelles choses apportées sur plusieurs de leurs chansons comme ce magnifique medley entre "Jane" et "Beetwen Wounds" avec un Jean-No marchant sur la foule tel Jésus sur la mer avant de se jeter dedans avec sa guitare à la main.



Le groupe n'est pas resté à ne rien faire pendant l'année écoulée car en plus de nous avoir offert un magnifique documentaire intitulé "The Big Picture" (à voir ici), ils ont composé un titre de 20mn où se mêlent calme et tempête que l'on devrait voir arriver si leur label leur donne le feu vert pour le sortir. Et comme leurs amis de Bandit Bandit étaient présent ce soir là, Hugo et Maeva sont remontés sur scène pour nous interprèter le magnifique "Fragile" chanté en français par Maeva avant de clôturer par le très touchant "The Big Picture" qui clôture le 2ème opus des alsaciens. Ce qui me fera toujours halluciner avec Last Train,  c'est qu'ils n'en reviennent toujours pas des ovations qu'ils reçoivent à la fin de chaque concert. Ce groupe est pur et authentique, et d'une gentillesse incroyable si vous les croiser au merch après les concerts.




Donc, si vous voyez ces deux groupes passer près de chez vous, ne les ratez surtout pas, et vous pouvez retrouver les Bandit Bandit le 10 décembre à la Maroquinerie de Paris, et le prochain arrêt à bord du Last Train se fera pour moi le 22 mars pour une date unique à L'olympia qui s'annonce déjà comme une date à ne pas rater,  et un concert qui restera gravé dans les mémoires de ceux qui y seront.

Ce que vous venez de lire n'est pas réellement un live report, mais plus un carnet de bord d'un aficionado passionné par notre incroyable scène française. Soyez curieux et sortez aux concerts. 
Merci de m'avoir lu. Et merci encore à Nos Rêves Font Du Bruit.

Enjoy 🤘😜



Gian, novembre 2021

vendredi 12 novembre 2021

Hommage aux victimes du Bataclan : « Last night Brittany Howard saved my life »

Credits Photo : © Vancouver Observer

On dit souvent qu’écrire est un exutoire. L’expression ne saurait être plus juste aujourd’hui. Actualité oblige, cette chronique va prendre un tour plus personnel qu’à l’accoutumée. Elle aurait pu être la première écrite depuis la tragédie du 13 novembre 2015 qui a fauché la vie de tant de jeunes visages, dont le seul tort était d’assister à un concert de rock ou de savourer la vie un vendredi soir sur une terrasse parisienne.

Credits Photo : © Le Parisien

La montagne de roses de l’espoir déposées devant le Bataclan ainsi que les centaines de messages anonymes laissés en hommage, nous ont laissé sans mots les jours et les semaines qui ont suivi, sidérés par un acte d’une telle violence et d’une telle gratuité. L’ancien habitué du 11ème arrondissement que je suis était incapable d’écouter quoi que ce soit aussi. Léthargique, choqué, comme paralysé.

Credits Photo : © Midi Libre

Et puis, il a fallu s’y remettre. Doucement. Continuer. Pour ne pas se laisser abattre. Alors, le 1er disque qui s’est imposé naturellement sur ma vieille platine était le “Sound & Color” d’Alabama Shakes. Pourquoi revenir sur ce disque, paru 6 mois avant les attentats ?

Je vous l’avoue, ce disque je l’avais un peu mis de côté, repoussant l’échéance de son écoute jusqu’à finalement passer à autre chose. Rien d’anormal jusque-là, cela arrive régulièrement à un chroniqueur. Sauf que ce disque ne m’a jamais vraiment quitté. Six mois ont passé, et las de le voir traîner sur le meuble sur lequel trônait ma platine, je décide de l’installer dessus et de laisser le diamant de la platine se poser délicatement dessus. Et là, surprise… ou miracle plutôt, j’ai été stupéfait. Sa chaleur soul teintée de rage était plus en phase avec mon état d’esprit que jamais. Ainsi, “Sound & Color” est devenu ma première épaule de réconfort en cette période sinistre.


Ce 2nd album de la formation rock / soul originaire d’Athens en Alabama connut un énorme succès aux Etats-Unis et, emmenée par la panthère Brittany Howard, fut indubitablement l’un des meilleurs disques de cette triste année 2015. A vrai dire, rien ne me préparait réellement à une telle claque. Comme beaucoup, je gardais le souvenir d’un premier album en 2012, sympathique certes mais sans grande originalité, où se croisait une bonne dose de guitares rock 70’s et de soul fiévreuse. Quelques titres accrocheurs mais pas de quoi sortir du rang, même si on savait le quatuor doté d’une belle énergie sur scène.

Credits Photo : © L.A. Times

C’était donc sans compter sur la voix de Brittany Howard qui explose littéralement sur cette douzaine de compositions audacieuses. Un disque étrangement plus rugueux et profond, qui nous accueille pourtant avec un vibraphone et des orchestrations de cordes gracieuses en ouverture. Il ne faut pourtant pas s’y méprendre, le ton de l’ensemble se veut délibérément résigné, voire désespéré. Brittany Howard y règle ses comptes avec sa famille disloquée. A ce titre, “Sound & Color” est un grand disque de soul dramatique.

Pochette de l'album "Sound & Color" d'Alabama Shakes (2015)


Cette noirceur, Brittany Howard la chante avec une force surhumaine. La part de masculinité de cette jeune femme noire cachée derrière ces petites lunettes, à l’opposé des canons esthétiques d’une Beyonce, fait d’elle la légataire musicale d’Otis Redding. Une voix à la fois puissante et terriblement hantée - comme dans “Gimme All Your Love” qui nous emporte avec lui dans un tourbillon. Un tourbillon noir, mais non dénué de pulsions groovy. Avec le tubesque “Don’t Wanna Fight”, la guitare truffée de gimmicks groovy d’Heath Frogg fait résonner le morceau comme un classique instantané.


Face à un tel ouragan vocal, le reste du groupe tempère magistralement, évite le piège délicat de verser dans l’emphase, avec toujours une justesse naturelle dans le déroulement du morceau, et un sens dramaturgique d’une finesse sans égal aujourd’hui : notamment dans la soul latente de “Dunes”, “Feeling” seul note teintée d’espoir, ou encore le surprenant “Future People”, qui rappelle un TV on The Radio qui aurait échoué en 1973. Côté contre-pied, le clin d’oeil de “Shoegaze” est tout le contraire de ce qu’il laisse pourtant indiquer, sec et claquant. Ultime pied de nez sur “The Greatest”... avec ce titre, la diva black et ses 3 rednecks signent probablement le meilleur morceau de ces blancs becs de Strokes depuis leur 1er album.


La veille du drame du Bataclan, les Alabama Shakes ouvraient le festival des Inrocks au Casino de Paris. Leur prestation fut de l’avis général mémorable. Un dernier rayon de soleil avant de plonger dans l’obscurité des ténèbres. Et comme un pied de nez au destin, ce sont eux qui m’ont sorti de l’obscurité. Last night Brittany Howard saved my life. Mon seul regret fut qu’elle ne puisse ramener ceux qui sont injustement partis trop tôt...


Texte rédigé en mémoire des victimes innocentes des attentats du Bataclan, « des terrasses » et du Stade de France, ainsi qu’à leurs familles. Nous ne vous oublions pas ! Je voudrais également avoir une pensée particulière pour celles & ceux qui ont perdu un(e) proche durant cette sombre journée.


Credits Photo : © DarkRoom

Credits Photo : © Bataclan

Credits Photo : © Boris Allin

Credits Photo : © Alessio Neri


Dessin : © Dadou

Credits Photo : © Groland

Credits Photo : © Life in Paris


Manu de RAN

samedi 30 octobre 2021

Album Review : "Comfort To Me" d'Amyl And The Sniffers (Sortie le 10.09.2021)

Credits Photo : © Marc Prodanovic

Poussé par des influences fort recommandables, telles qu’AC/DC, The Damned ou encore les Stooges, le groupe australien Amyl And The Sniffers a sévèrement bousculé les certitudes des amateurs de rock avec la sortie de son 1er album éponyme en 2019. Une bombe blindée d’hymnes punks dopés à l’adrénaline et tranchants comme des lames de rasoir, à l’image de la superbe “Some Mutts (Can’t Be Muzzled)”, qui clôturait cet opus.

Deux ans plus tard, la chanteuse Amy Taylor et ses « renifleurs » sont de retour avec une nouvelle offrande intitulée “Comfort To Me”. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les confinements successifs - 262 jours cumulés dans la région de Melbourne - n’ont en rien apaisé le courroux de la vocaliste originaire de la Province du Victoria. L’énergie nerveuse refoulée du 1er effort s’est muée cette fois en une véhémence véhiculant un énorme désir d’acceptation porté par des manifestes punk plus intenses et personnels qu’à ses débuts. En effet, sur “Comfort To Me”, la formation australienne semble sans cesse sur la corde raide, oscillant entre une résistance passionnée et une introspection bienvenue.

Credits Photo : © Jamie Widziekonski

UN DISQUE ENTRE RESISTANCE PASSIONNEE ET INTROSPECTION

S’ouvrant sur le single “Guided By Angels” et son rythme de basse et de batterie roulant, ainsi que sa guitare clairsemée oeuvrant derrière la voix d’Amy Taylor, ce disque lance les hostilités de la meilleure manière qui soit avec un titre post-punk à la brutalité cathartique et refoulée. L’explosion arrivera rapidement avec le brûlot punk hardcore “Freaks To The Front”, ainsi qu’avec le hard rock dégoulinant de “Choices”, qui poursuit dans la même veine. S’ensuit la menace profonde de la vertigineuse “Security”, qui rappelle Circle Jerks et donne un faux sentiment de répit avant que le groupe ne remette le feu aux poudres.


Amyl And The Sniffers donne sa pleine mesure sur des titres comme “Capital” ou l’incendiaire “Don’t Need A Cunt (Like You To Love Me)”, où le quatuor parvient à canaliser son énergie punk rock pure et à piétiner cette espèce de « blues bâtard ». Arrive le moment de ce qui est peut-être mon titre préféré, le single “Hertz”, nouveau point culminant avec sa basse chargée de chorus. Sur ce titre, Amy Taylor se délecte du rythme disco-punk dépouillé proposé par ses acolytes et crache les paroles, confirmant au passage ses influences hip-hop aperçues sur “Nudge It”, le featuring qu’elle a réalisé en début d’année avec les britanniques de Sleaford Mods.


Là où “Security” donne un coup de poing emphatique et provocant en l'air, le merveilleux “No More Tears” s'étend avec plus d'espace et ouvre un virage introspectif. Les accords inhabituels, l’ouverture des paroles, une candeur inattendue sortant du chaos, le groove tournoyant… tous ces éléments permettent à cette chanson de se démarquer au milieu des diatribes punk de cet album. Là où “Knifey” propose une ligne de basse sombre sous-jacente à des paroles presque tristes déplorant l’insécurité qui gangrène certains territoires, “Laughing” permet au quatuor d’étendre les limites de son propre style, tant musicalement qu’au niveau des textes.

Credits Photo : © David Brendan Hall

Ce qui rend cet album si spécial, c'est la confiance évidente que le groupe a en lui-même et le contrôle total qu’il semble pouvoir exercer en toute circonstance. Amyl And The Sniffers semble avoir dompté son côté fougueux et nous propose sur cet effort un punk rock mieux maîtrisé, dont l’élément fondateur est la basse de Gus Romer, étroitement liée aux rythmes du batteur Bryce Wilson. Ensemble, ils fixent le cap, laissant ainsi libre court aux envolées vocales et instrumentales d’Amy Taylor et du guitariste Dec Martens.

Credits Photo : © Daniel W Young

On pouvait craindre que les nouveaux moyens financiers et techniques mis à la disposition du groupe dénaturent quelque peu l’exaltation habituelle des chansons d’Amyl And The Sniffers, mais il n’en est heureusement rien. Héritière charismatique du mouvement féministe Riot Grrrl, Amy Taylor est de retour pour casser des mâchoires et c’est indéniablement dans ce registre qu’elle est la meilleure, enchaînant les bombes soniques comme certain(e)s enchaînent les petits boulots.


Continuant à balancer sa rage tout en invitant à l’introspection, la chanteuse n’en oublie pas d’inciter à la rébellion et à la baston sur des pépites telles que “Hertz” ou “Maggot”. Mais avec ce 2ème album magnifique, Amyl And The Sniffers enverra également « péter » le patriarcat, la masculinité toxique et le racisme systémique grâce à des morceaux comme “Snakes”, où l’énergie et la fougue sont constantes. A l’écoute de ce disque, on ne s’étonnera donc guère de voir Amy Taylor fricoter avec des groupes comme IDLES ou Sleaford Mods.

Credits Photo : © Amyl Featre

UN DISQUE LUTTANT CONTRE LE PATRIARCAT, LE SEXISME ET LE RACISME

Parfois, on ressent juste le besoin d’être bousculé pour avancer... Avec ce 2nd opus, la formation australienne nous offre la meilleure des motivations pour reprendre le chemin des salles de concert. Car en à peine une demi-heure, Amyl And The Sniffers nous replonge dans cette ambiance réjouissante suintant la bière et la sueur et redonne ses lettres de noblesse à un genre trop souvent galvanisé.

Certes, Amy Taylor et ses acolytes ne prétendent rien inventer… mais ils se font un devoir de perpétuer l’héritage australien du rock n’ roll viscéral. “Comfort To Me” est un 2ème album plus abouti, mieux fignolé et tout aussi virulent que le 1er effort, mais dans le contexte actuel, sécuritaire, balisé et formaté, ses diatribes survoltées se révèlent être un véritable exutoire. Le plus difficile commence peut-être pour Amy et ses compagnons car il leur faudra faire en sorte que ce disque ne devienne pas un Everest dont le quatuor ne fera que dégringoler. En attendant, difficile de ne pas reconnaître que “Comfort To Me” est un triomphe absolu, qui comptera parmi les meilleures productions de cette année 2021.


La Note de Manu : 9/10

Pochette de l'album "Comfort To Me" d'Amyl And The Sniffers (sortie le 10.09.2021)

“Comfort To Me” d’Amyl And The Sniffers, LP 13 titres sorti le 10 septembre 2021 chez Rough Trade Records

Tracklist :

1. Guided By Angels (2:59)

2. Freaks To The Front (1:41)

3. Choices (2:20)

4. Security (3:47)

5. Hertz (2:33)

6. No More Tears (2:57)

7. Maggot (3:21)

8. Capital (2:45)

9. Don’t Fence Me In (2:40)

10. Knifey (3:30)

11. Don’t Need a Cunt [Like You To Love Me] (1:31)

12. Laughing (1:44)

13. Snakes (3:03)



Credits Photo : © NME

Credits Photo : © Daniel W Young


Manu de RAN