vendredi 12 novembre 2021

Hommage aux victimes du Bataclan : « Last night Brittany Howard saved my life »

Credits Photo : © Vancouver Observer

On dit souvent qu’écrire est un exutoire. L’expression ne saurait être plus juste aujourd’hui. Actualité oblige, cette chronique va prendre un tour plus personnel qu’à l’accoutumée. Elle aurait pu être la première écrite depuis la tragédie du 13 novembre 2015 qui a fauché la vie de tant de jeunes visages, dont le seul tort était d’assister à un concert de rock ou de savourer la vie un vendredi soir sur une terrasse parisienne.

Credits Photo : © Le Parisien

La montagne de roses de l’espoir déposées devant le Bataclan ainsi que les centaines de messages anonymes laissés en hommage, nous ont laissé sans mots les jours et les semaines qui ont suivi, sidérés par un acte d’une telle violence et d’une telle gratuité. L’ancien habitué du 11ème arrondissement que je suis était incapable d’écouter quoi que ce soit aussi. Léthargique, choqué, comme paralysé.

Credits Photo : © Midi Libre

Et puis, il a fallu s’y remettre. Doucement. Continuer. Pour ne pas se laisser abattre. Alors, le 1er disque qui s’est imposé naturellement sur ma vieille platine était le “Sound & Color” d’Alabama Shakes. Pourquoi revenir sur ce disque, paru 6 mois avant les attentats ?

Je vous l’avoue, ce disque je l’avais un peu mis de côté, repoussant l’échéance de son écoute jusqu’à finalement passer à autre chose. Rien d’anormal jusque-là, cela arrive régulièrement à un chroniqueur. Sauf que ce disque ne m’a jamais vraiment quitté. Six mois ont passé, et las de le voir traîner sur le meuble sur lequel trônait ma platine, je décide de l’installer dessus et de laisser le diamant de la platine se poser délicatement dessus. Et là, surprise… ou miracle plutôt, j’ai été stupéfait. Sa chaleur soul teintée de rage était plus en phase avec mon état d’esprit que jamais. Ainsi, “Sound & Color” est devenu ma première épaule de réconfort en cette période sinistre.


Ce 2nd album de la formation rock / soul originaire d’Athens en Alabama connut un énorme succès aux Etats-Unis et, emmenée par la panthère Brittany Howard, fut indubitablement l’un des meilleurs disques de cette triste année 2015. A vrai dire, rien ne me préparait réellement à une telle claque. Comme beaucoup, je gardais le souvenir d’un premier album en 2012, sympathique certes mais sans grande originalité, où se croisait une bonne dose de guitares rock 70’s et de soul fiévreuse. Quelques titres accrocheurs mais pas de quoi sortir du rang, même si on savait le quatuor doté d’une belle énergie sur scène.

Credits Photo : © L.A. Times

C’était donc sans compter sur la voix de Brittany Howard qui explose littéralement sur cette douzaine de compositions audacieuses. Un disque étrangement plus rugueux et profond, qui nous accueille pourtant avec un vibraphone et des orchestrations de cordes gracieuses en ouverture. Il ne faut pourtant pas s’y méprendre, le ton de l’ensemble se veut délibérément résigné, voire désespéré. Brittany Howard y règle ses comptes avec sa famille disloquée. A ce titre, “Sound & Color” est un grand disque de soul dramatique.

Pochette de l'album "Sound & Color" d'Alabama Shakes (2015)


Cette noirceur, Brittany Howard la chante avec une force surhumaine. La part de masculinité de cette jeune femme noire cachée derrière ces petites lunettes, à l’opposé des canons esthétiques d’une Beyonce, fait d’elle la légataire musicale d’Otis Redding. Une voix à la fois puissante et terriblement hantée - comme dans “Gimme All Your Love” qui nous emporte avec lui dans un tourbillon. Un tourbillon noir, mais non dénué de pulsions groovy. Avec le tubesque “Don’t Wanna Fight”, la guitare truffée de gimmicks groovy d’Heath Frogg fait résonner le morceau comme un classique instantané.


Face à un tel ouragan vocal, le reste du groupe tempère magistralement, évite le piège délicat de verser dans l’emphase, avec toujours une justesse naturelle dans le déroulement du morceau, et un sens dramaturgique d’une finesse sans égal aujourd’hui : notamment dans la soul latente de “Dunes”, “Feeling” seul note teintée d’espoir, ou encore le surprenant “Future People”, qui rappelle un TV on The Radio qui aurait échoué en 1973. Côté contre-pied, le clin d’oeil de “Shoegaze” est tout le contraire de ce qu’il laisse pourtant indiquer, sec et claquant. Ultime pied de nez sur “The Greatest”... avec ce titre, la diva black et ses 3 rednecks signent probablement le meilleur morceau de ces blancs becs de Strokes depuis leur 1er album.


La veille du drame du Bataclan, les Alabama Shakes ouvraient le festival des Inrocks au Casino de Paris. Leur prestation fut de l’avis général mémorable. Un dernier rayon de soleil avant de plonger dans l’obscurité des ténèbres. Et comme un pied de nez au destin, ce sont eux qui m’ont sorti de l’obscurité. Last night Brittany Howard saved my life. Mon seul regret fut qu’elle ne puisse ramener ceux qui sont injustement partis trop tôt...


Texte rédigé en mémoire des victimes innocentes des attentats du Bataclan, « des terrasses » et du Stade de France, ainsi qu’à leurs familles. Nous ne vous oublions pas ! Je voudrais également avoir une pensée particulière pour celles & ceux qui ont perdu un(e) proche durant cette sombre journée.


Credits Photo : © DarkRoom

Credits Photo : © Bataclan

Credits Photo : © Boris Allin

Credits Photo : © Alessio Neri


Dessin : © Dadou

Credits Photo : © Groland

Credits Photo : © Life in Paris


Manu de RAN

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