samedi 28 mars 2020

Live Report :ALGIERS met La Maroquinerie en transe le 5 mars 2020


En ce jeudi 5 mars pluvieux, retour à La Maroquinerie qui décidément continue de nous abreuver d’artistes intéressants. Ce soir il s’agit d’Algiers, le groupe américain politiquement engagé qui vient de sortir son troisième album « There Is No Year ». Nous avions vu pour la première fois le combo d’Atlanta en première partie de Depeche Mode au Stade de France en juillet 2017, et avouons-le noue n’avions pas été convaincus par la prestation dont nous ne gardions d’ailleurs pas un souvenir précis. C’est finalement l’écoute du dernier album qui nous a conduit à venir les voir dans une autre ambiance que celle d’un stade. La Maroquinerie nous semblait en effet plus appropriée à cette musique pour laquelle la proximité avec les musiciens peut réellement faire la différence. Et bien nous en a pris comme la suite de la soirée nous le montrera. Du coup nous savions que quelques jours avant la date, le concert n’était pas sold out. Cela se confirmait au moment de l’ouverture des portes par la présence d’un public un peu clairsemé. Bon la salle finira par se remplir correctement avec, c’est ce qu’on peut se dire, un public de fins connaisseurs de musique non conventionnelle et non commerciale, ce n’est finalement pas plus mal parfois.





C'est à un peu plus de 20h que la chanteuse Esya fait son apparition sur scène de façon très discrète. Elle est entourée de claviers et machines électroniques et vient armée d’une basse. Il s’agit en fait de Ayse Hassan la bassiste des Savages. Elle concocte une musique électronique sur laquelle elle chante, plutôt bien, certains titres pouvant faire un peu penser à Bjork. Mais c’est lorsqu’elle s’empare de sa basse que sa musique est la plus intéressante, dommage qu’elle ne l’ait pas fait plus souvent.


Vers 21h ce sont Ryan Mahan, le bassiste/claviers, et Lee Tesche, le guitariste qui s’est pour le moment emparé d’un saxophone, qui investissent la scène pour une longue intro de musique electro/industrielle je dirais, avant d’être rejoints par leur deux compères, le batteur Matt Tong et par le frontman Franklin James Fischer, chanteur multi-instrumentiste. Et le set commence par une version quasi méconnaissable, si ce n’est la rythmique, de la chanson « There Is No Year », suivie de « Black Eunuch » une chanson de leur premier album. Le concert commence doucement, mais ira crescendo tout au long de la soirée. Et la tension monte d’un cran avec « Walk Like A Panther », cette fois issue du second album. Franklin s’adresse au public dans un français impeccable, sans accent, et utilise les phrases qu’il vient de prononcer en tant que samples avant d’entamer la chanson suivante « The Underside of Power ». Vient ensuite la fabuleuse soul électronique de « Dispossession », une de mes chansons préférées du groupe, qui ne nous déçoit pas en live où elle garde tout son pouvoir évocateur. On aurait aimé que les chœurs gospels soient présents. Le groove de cette chanson est incroyable et le plaisir à ce moment est intense dans le public, on peut le sentir.


Et le plaisir continue puisque c’est le tour de l’autre titre des plus prenants, toujours issu du dernier album, « The Hour Of The Furnaces » qui tient lui aussi toutes ses promesses en nous embarquant complètement avec toutes ses boucles fabuleuses enregistrées en live par Franklin. Après un « Hymn For An Average Man’ loin d’être moyen, Algiers nous assène son presque punk, teinté de gospel, « Void », titre rageur hyper efficace qui soulève l’enthousiasme du public. Le groupe enchaîne ensuite avec une reprise bien sentie des The Make Up « Born On The Floor ». Le petit détail qui tue c’est que, comme Ftanklin n’a pas écrit les paroles, il n’arrive pas à s’en souvenir et devra s’aider d’un smartphone pour les chanter. Bon nous ne comprenons pas vraiment parce que l’essentiel des paroles est ‘Born on the floor’ … Retour au dernier album avec « We Can’t Be Found », chanson rock, simple, dans laquelle la tension mais aussi l’âme sont palpables, qui passe très bien en live. Franklin enregistre ensuite quelques samples avant d’entonner la chanson aux fabuleux accents soul « Cleveland », qui nous prend vraiment aux tripes.

 


Le concert depuis le début ne fait que monter en puissance et le public est de plus en plus transporté par cette musique qui ne ressemble à aucune autre, quelque peu inclassable, mais qui, dans la salle de la Maroquinerie, a un impact dingue, on se prend toutes les good vibes dans la figure. Et ça continue avec un « Wait For The Sound » plus électronique et bruitiste, mais tout aussi soul, que la version de l’album. On écoute religieusement tout d’abord, puis la puissance de la fin de la chanson nous fait chavirer. Quelle force évocatrice !




Le set se termine par « Cry Of The Martyrs » au groove impeccable, puis “Death March » pendant laquelle Franklin descendra dans la fosse pour y interpréter une bonne partie de la chanson, non sans avoir lancé quelques petits messages à caractère politique bien placés. La fin du set est parfaite avec des musiciens qui maîtrisent totalement leur art. Je suis complètement conquis comme le reste du public d’ailleurs. Franklin quitte alors la scène, laissant les autres musiciens terminer la prestation.


Les applaudissements sont nourris et les musiciens ne tarderont pas à revenir pour le rappel. Celui commence avec « Unoccupied » titre à la dynamique parfaite pour nous remettre en selle. Changement de style avec le titre très punk ‘One Chord » interprété avec le concours d’Esya pour l’occasion. Le rappel se termine avec « Old Girl » sur laquelle Franklin finira allongé sur le sol pour mieux en scander les paroles. Le public applaudit avec chaleur et reste en place. Bien lui en prend car Algiers nous octroie un second rappel inattendu, les titres ne figure d’ailleurs pas sur la setlist. 

  



C’est la dernière date de la tournée européenne et les musiciens ont visiblement envie de terminer en beauté. Et c’est le cas, tout d’abord avec l’incroyable chanson «The Cycle/The Spiral: Time to Go Down Slowly » et son groove imparable, et enfin pour terminer « But She Was Not Flying ». Après plus de 1h50 d’excellente musique, de merveilleuses vibrations, d’intelligence artistique, le groupe tire sa révérence, nous laissant comblés et certains d’avoir assisté à une des meilleures prestations live de ce début 2020. Algiers parvient à nous envoyer une musique électronique totalement organique, pleine d’âme, loin de la froideur ou l’absence de feeling que ce style de musique peut parfois revêtir. Une sacrée fusion des genres, de la soul, du rock, du punk, du jazz progressif, de l’electro, …, dans une alchimie parfaite qui vous prend aux tripes et vous transporte pendant tout le set.


Vous l’avez compris cette 2ieme expérience avec Algiers n’aura rien eu à voir avec la première au Stade de France. Peut être que le groupe d’Atlanta devra se cantonner aux salles modestes et oublier les stades, ou peut être que le groupe a tellement progressé qu’il est maintenant en mesure de vraiment vous embarquer dans son voyage musical. Toujours est-il que nous renouvellerons l’expérience c’est certain !


Setlist :
There Is No Year
Black Eunuch
Walk Like A Panther
The Underside Of Power
Dispossession
Hour Of The Furnaces
Hymn For An Average Man
Void
Born On The Floor (Make Up Cover)
We Can't Be Found
Cleveland
Wait For The Sound
Cry Of The Martyrs
Death March

Unoccupied
One Chord (avec Esya)
Old Girl

The Cycle/The Spiral
But She Was Not Flying


jeudi 26 mars 2020

Album Review : "Gigaton" de Pearl Jam (Sortie le 27.03.2020)

Source : © Site Officiel Pearl Jam
Voilà près d’une décennie que l’immense cohorte de fans du mastodonte historique du grunge Pearl Jam patientait en quête d’un album à se mettre sous la dent... En effet, dans notre société contemporaine où le culte de l’immédiateté et la recherche du plaisir instantané font loi, il faut reconnaître que 7 ans entre Lightning Bolt” en 2013 et ce “Gigaton”, cela peut sembler une éternité.
Source : © Kinepolis
Pour Pearl Jam comme pour tout groupe ayant dépassé le quart de siècle d’existence, la question de la pertinence se pose fatalement à un moment donné. Au fil des années, l’un des derniers dinosaures du grunge originel semblait avoir perdu de sa superbe, tant les dernières sorties - notamment “Lightning Bolt” en 2013 - ressemblaient davantage à une sorte de bouillis insipide qu’à du 1er choix. C’est la raison pour laquelle, comme de nombreux fans, j’attendais fébrilement ce 11ème album studio...
Crédits Photo : © NME
Pourtant, ce septennat d’attente semble avoir été salutaire au groupe mené par Eddie Vedder qui - pour la 1ère fois depuis très longtemps - s’empare avec bonheur des fléaux de notre temps, particulièrement le réchauffement climatique, pour nous livrer un 11ème album intitulé “Gigaton”, un disque certes imparfait mais qui rend néanmoins justice aux meilleures oeuvres du groupe. Soyons clairs : malgré ses défauts, cet opus est probablement le disque que l’on n’osait plus espérer de la part du quintet originaire de Seattle.
Crédits Photo : © Radio Canada
Après une intro brève et menaçante, le charme opère comme par magie avec “Who Ever Said”, qui sonne comme une version un brin moins vénère de “Brain Of J.”, titre d’ouverture de “Yield” en 1998. Inspiré par l’éclipse lunaire totale du 21 janvier 2019, le 2nd single “Superblood Wolfmoon” arrive rapidement dans la même veine que celle de l’album éponyme de 2006, avec des paroles sombres sur les relations amoureuses, vite interrompues par un excellent solo du guitariste Mike McCready. De nombreuses choses ont été dites & écrites sur la piste suivante “Dance Of The Clairvoyants”. “Un virage new wave étrange et raté” a-t-on pu lire ici et là... Ne nous emballons pas, il faut raison garder ! Même si ce n’est clairement pas la direction artistique que nous espérions les voir suivre, Pearl Jam y manipule néanmoins les sonorités électroniques avec un certain bonheur et parvient une nouvelle fois à surprendre agréablement en convoquant l’héritage de Talking Heads.
Crédits Photo : © Rolling Stone
Si j’étais circonspect à l’annonce de la collaboration du groupe avec le producteur Josh Evans, il faut reconnaître que le son tiédasse des 2 disques précédents semble bien loin. “Gigaton” adopte une approche bien plus équilibrée, revient aux fondamentaux du son de Pearl Jam et donne enfin au batteur Matt Cameron la place qu’il mérite. Vous vous en rendrez compte à l’écoute de “Take The Long Way” ou “Quick Escape”, un air à classer parmi les meilleurs travaux du percussionniste depuis son arrivée au sein du combo il y a 22 ans. “Quick Escape” est d’ailleurs indubitablement ma piste préférée, avec sa ligne de basse sale sublimée par Jeff Ament et la performance simple mais hyper efficace de Matt Cameron derrière ses fûts. Elle a également donné l’occasion à Eddie Vedder de laisser libre court à sa passion pour la science-fiction.
Crédits Photo : © Rolling Stone
Si la jolie “Alright” incite à la sérénité, sur l’efficace “Never Destination”, les membres du groupe font le parallèle entre les problématiques sociétales actuelles et la politique américaine. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas connu le quintet aussi concerné par les fléaux de notre société - la présidence déplorable de Donald Trump en tête - et ça leur réussit très bien ! A partir de “Take The Long Way”, Pearl Jam tente de proposer différentes ambiances, avec plus ou moins de bonheur, tantôt avec des morceaux rock - aux tonalités parfois psychédéliques - portés par la voix puissante d’Eddie, tantôt avec des ballades faisant penser aux différents travaux de Vedder en solo, comme “Comes Then Goes”.
Crédits Photo : © Hardforce
Après avoir abordé le réchauffement climatique dans plusieurs des pistes précitées, la planante “Seven O’ Clock”, la très 80’s “Retrograde” et la piste de clôture gorgée d’orgue “River Cross” délivrent un message d’avertissement et d’espoir au genre humain. Pas de doutes… après de nombreuses années de vaches maigres, Pearl Jam retrouve son engagement militant et parvient à le sublimer dans cet effort réussi au-delà de toutes espérances.
Crédits Photo : © Rolling Stone
Alors que notre société sombre actuellement dans le chaos climatique et sanitaire, “Gigaton” nous invite à une évasion musicale à la hauteur des artifices mis en place par le groupe pour sa promotion. En effet, après avoir convié les fans à une chasse à l’artwork dans de nombreuses villes à travers le monde et avoir créé une application de réalité augmentée lunaire pour dévoiler “Superblood Wolfmoon”, ce nouvel album fusionne le grunge, le punk et le rock psychédélique et se révèle être un voyage émotionnel et politique, sans doute la meilleure oeuvre de Pearl Jam depuis très longtemps.
Credits Photo : © Alessandro De Vito
Si le disque perd un peu de son élan et que l’énergie semble s’essouffler par moments aux ¾  de l’album, les paroles alternent engagements personnels et appels aux armes, et rappellent les meilleures heures du groupe. Comme le prophétisait l’un de leurs fans les plus acharnés, Pearl Jam a su évoluer avec son temps. Ces gars-là n’ont pas fini de nous étonner… et on ne peut que s’en réjouir !


La Note de Manu : 8.5/10
Pochette de l'album "Gigaton" de Pearl Jam (sortie le 27.03.2020)
“Gigaton” de Pearl Jam, LP 12 titres sorti le 27 mars 2020 chez Monkeywrench Records / Universal Music


Tracklist :

1. Who Ever Said (5:11)
2. Superblood Wolfmoon (3:50)
3. Dance Of The Clairvoyants (4:25)
4. Quick Escape (4:47)
5. Alright (3:44)
6. Seven O’Clock (6:14)
7. Never Destination (4:17)
8. Take The Long Way (3:42)
9. Buckle Up (3:37)
10. Comes Then Goes (6:02)
11. Retrograde (5:22)

12. River Cross (5:53)

https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_nFVBfM5ViENs6t3N-dwzJkNTJpLLy4S_E
Crédits Photo : © Vacarm.net
Crédits Photo : © Rolling Stone
Crédits Photo : © E.T. Canada



Manu de RAN

jeudi 19 mars 2020

Album Review : "Fungus II" de Wasted Shirt (Sortie le 06.03.2020)

Credits Photo : © La Presse.ca
“Prendre le temps de temps en temps…”. Vous connaissez sans doute ce refrain issu d’une célèbre chanson du répertoire français… Et bien, voilà une maxime qui ne peut guère s’appliquer à Ty Segall. En effet, à peine 6 mois après la sortie de son album “First Taste” et moins d’1 an après la publication de “Deforming Lobes”, le stakhanoviste californien est à nouveau de retour, cette fois en binôme avec le batteur / chanteur de Lightning Bolt, Brian Chippendale, sous le patronyme de Wasted Shirt.
Credits Photo : © Andy Pareti
Si le prodige du garage-rock californien livre une bataille à distance avec ses compatriotes d’Oh Sees - menés par le non moins talentueux John Dwyer - et surtout, avec les australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard pour le titre de groupe le plus prolifique du 21ème siècle, Ty Segall parvient néanmoins - à travers ses différents projets parallèles - à maintenir une qualité remarquable. Et ce 1er effort de Wasted Shirt ne déroge pas à la règle...
Credits Photo : © Erika Reinsel
En effet, connus pour leurs expérimentations respectives, les membres de Wasted Shirt poussent l'alchimie un peu plus loin cette fois dans ce 1er disque aux confins du noise rock. A travers les 12 chansons de “Fungus II”, on retrouve un son noisy abrasif, un brin hallucinatoire, évoquant Ozzy Osbourne & Black Sabbath par moments. Ainsi, “All Is lost” ouvre l'album dans un beuglement cacophonique, qui précède une explosion instrumentale de percus et de gratte. Sur les pistes suivantes, Wasted Shirt est exactement là où l’on était en droit de l’attendre, oscillant entre le chaos sonore féroce de Lightning Bolt et un garage-punk crasseux typique de l’oeuvre de Ty Segall.
Credits Photo : © Rolling Stone
“Double The Dream” est incontestablement la piste qui illustre le mieux cette combinaison de riffs de guitare noueux et de rythmes de batterie entêtants. Si “Fist Is My Ward” offre un son Black Sabbath-ien surmonté d'une voix gutturale et de percus d’une vitesse assez affolante, “The Purple One” sonne comme un morceau oublié d’un Violent Femmes - groupe américain des années 80 & 90 - avec sa guitare acoustique enthousiasmante comme possédée par un esprit satanique. De plus, outre son appétence pour le noise rock, le duo fait également de belles incursions dans le stoner, notamment dans “Zeppelin 5” et - surtout - “Four Strangers Enter The Cement At Dusk”, marche cataclysmique gorgée de reverb.
Source : © Facebook Officiel Lightning Bolt
Pourtant, si la guitare de Ty Segall fait une nouvelle fois des ravages et se dévoile dans toute sa splendeur sur ce disque, les percussions de Brian Chippendale connaissent parfois des temps faibles, comme sur “Eagle Slaughters Graduation” et sur la décevante “Harsho”. Toutefois, si ce disque ne sera pas d’une écoute facile, les 1ers pas de Wasted Shirt convaincront sûrement une majorité de fans de Ty Segall & Lightning Bolt, tant la cacophonie qui se dégage de cet album vous fera oublier tous vos préjugés en matière de rock. Mais si vous lisez cette chronique, peut-on encore dire que vous en avez… Quoi qu’il en soit, aussi étranges que soient ses chansons, “Fungus II” se révèle être un disque très intéressant, un magnifique voyage hors des sentiers balisés, une ruée noisy exaltante.


La Note de Manu : 8/10
Pochette de l'album "Fungus II" de Wasted Shirt
“Fungus II” de Wasted Shirt, LP 9 titres sorti le 06 mars 2020 chez Famous Class Records

Tracklist :
1. All Is Lost (3:05)
2. Zeppelin 5 (3:48)
3. Fist Is My Ward (3:10)
4. Harsho (5:37)
5. Double The Dream (2:08)
6. The Purple One (2:30)
7. Fungus II (0:58)
8. Eagle Slaughters Graduation (3:19)
9. Four Strangers Enter The Cement At Dusk (7:14)


Credits Photo : © Rock & Folk


Manu de RAN

jeudi 12 mars 2020

[Interview] : Léonel Houssam, auteur de "Post Mortem", la biographie la plus complète sur Noir Désir à ce jour.


Comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule. Les fans de Noir Désir ont eu le bonheur de voir un album live acoustique arriver le 24 janvier, intitulé Débranché. Et quelques semaines auparavant, le 29 novembre -pour être précis-, est sortie la biographie la plus complète à ce jour sur le groupe de Bordeaux. Mais l'histoire ne s'arrête pas à la fin du groupe, et continue bien au delà, en vous expliquant les différents chemins pris par les 4 membres de Noir Des depuis le milieu des années 2000. Léonel Houssam, auteur et biographe, ex-Andy Vérol de '93 à 2013. Nous a accordé un peu de son temps pour en savoir un peu plus sur cette biographie si particulière d'un, voire, le plus grand groupe de rock que la France ait connu.

Noir Désir "Débranché" sortie le 24 janvier 2020, et "Post Mortem" sortie le 29 novembre 2019

RAN : Bonjour Léonel, le titre Post Mortem est vraiment bien trouvé, et annonce la couleur à propos du livre. As-tu eu peur de la réaction des fans avec ce titre? 

Léonel : Je suis d'accord avec toi. J'ai choisi ce titre à dessein, mon éditeur Camion Blanc ayant validé celui-ci, j'avais plusieurs raisons d'ajouter ce "post-mortem" au titre. Il ne s'agissait pas pour moi de provoquer même si j'ai un esprit taquin. Cette biographie est effectivement celle qui vient après les événements de Vilnius mais aussi après le split du groupe. Je voulais appuyer sur ce point, que l'on sache qu'un groupe est composé de plusieurs membres, et pas simplement d'un chanteur-star. Quatre membres qui, après leur séparation, ont continué à créer, à jouer, à se produire. Quant à la réaction des fans, soyons clair, quoi que j’aie pu utiliser comme titre, une partie d'entre eux m'aurait sauté à la gorge. Tu parles des fans, mais il y a aussi des détracteurs. Nous vivons une époque marquée par les réseaux sociaux, surtout depuis 2008 alors que le groupe était encore officiellement prêt à retourner sur scène et à composer un album. Les réseaux sociaux agrègent des groupes d'intérêts communs. Parfois ces groupes sont composés de personnes cohérentes, d'autres fois, on est face à des sortes de cafés du commerce puissance dix-mille. Je ne me suis donc pas soucié de ça. Si nous devons craindre le fanatisme, la bêtise et l'esprit de horde de certains internautes, nous ne pouvons plus rien dire, écrire, publier. 


RAN : Ta biographie est sortie à l'origine en 2008, dans quelles conditions, et comment s'est faite l'écriture ? 

Léonel : En mars 2008, Patrick Eudeline, chroniqueur, journaliste et musicien m’a contacté via Myspace. A l’époque, mon premier roman allait sortir en avril et je publiais pas mal de textes sur internet. Il a repéré que j’avais Noir Désir dans mes playlists et que, je présume, j’avais un style qui correspondait à son projet. Il était directeur de collection aux Editions Scali qui avaient le vent en poupe. Je n’avais encore jamais écrit de bio de ma vie mais durant les années 90-2000, j’avais été chroniqueur musical pour divers fanzines et magazines. Je me suis lancé sur le projet à corps perdu. En fait, Scali avait déjà fait appel à deux auteurs avant moi qui avaient rendu des manuscrits catastrophiques, plus mauvais que jamais. Ils m’ont donné cinq semaines pour écrire cette bio ! Sans à-valoir. Mais j’étais assez fou pour le faire. J’y ai bossé nuit et jour, sept jour sur sept et j’ai rendu cette première version dans les délais pour une publication en juin 2008. Etant donné les conditions, ça n’était pas si mal que ça. 

RAN : Pourquoi y avait-il une telle urgence à l'époque?

Léonel : Il s’agissait de la biographie qui sortait après la libération de Bertrand Cantat. Scali y a vu l’opportunité d’en faire un événement autant commercial qu’artistique. Noir Désir était toujours « vivant » et la perspective d’un nouvel album en faisait un groupe dont il fallait parler. En ce qui me concernait, je venais de sortir mon premier roman et l’idée de sortir une biographie majeure me faisait plutôt triper. 


RAN : Malheureusement ton premier éditeur a mis la clé sous la porte, et cette première bio n’a plus été distribuée et tu la mise de côté. Pensais-tu à l’époque l'a ressortir un jour? 

Léonel : En fait j’ai récupéré les droits en 2009. Elle a donc été rééditée par mon éditeur historique après quelques remises à jour. Seulement d’autres biographies sont arrivées dans les librairies et les ventes ont été moins bonnes, même si elles étaient très très correctes. En 2011-12, les invendus sont partis au pilon. Pour moi, cette histoire était derrière moi. J’avais d’autres livres qui paraissaient, d’autres en cours d’écriture. Il faut d’ailleurs prendre conscience qu’à cette époque-là, les « haters » étaient beaucoup plus rares qu’aujourd’hui. J’ai bénéficié d’une belle exposition médiatique (télés, radios, journaux, webzines) plus qu’enviable et très peu de propos infects de la part d’internautes. Il y en a pourtant bien eu : « Tu te fais du fric sur la mort de quelqu’un », « Tu n’es qu’un collabo », « soutien d’assassin », et j’en passe. Je ne vais pas dire que ça m’a usé, mais j’ai parfois été affecté par ces maboules. Pour les moins fanatiques, j’ai tenté d’expliquer que j’étais le biographe d’un groupe, que j’écrivais l’histoire de types qui avaient marqué la scène rock française, que l’on aime ou pas. J’ai vite cessé. J’ai un parcours universitaire initial qui s’inscrit dans l’étude de l’Histoire : antiquité, moderne, contemporaine, etc. Ecrire un livre sur la vie d’Hitler fait-il de l’historien un hitlérien ? Ian Kershaw appréciera. 
Ma démarche a toujours été d’éviter de racoler. Cette biographie ne remue pas la merde, depuis sa première version en 2008. Elle ne contourne pas non plus la réalité de l’histoire de chacun de ses membres et particulièrement Bertrand Cantat. Les fans ou détracteurs m’ont souvent balancé qu’il ne fallait pas qu’un livre soit publié sur Cantat. Ce n’est pas un livre sur lui ! C’est une biographie d’un groupe dont il a fait partie. Mais alors, à chaque fois que quelqu’un est banni médiatiquement, condamné ou moralement incorrect, il faudrait s’interdire d’écrire ? Nous ne serions donc plus dans un monde libre ? Quelle police de la pensée, qu’elle soit étatique ou « populaire », est en droit d’interdire, de faire interdire ou de saboter la sortie d’un livre ? Cette biographie, dès le départ, a toujours respecté les lois et je me prévaux d’avoir une approche équilibrée sur le sujet. 


Camion Blanc, l'éditeur qui véhicule le rock.

RAN : Pour cette nouvelle édition, tu as eu la chance d'être chez Camion Blanc, "l'éditeur qui véhicule le rock", aux côtés de très bons ouvrages sur énormément de groupes (comme le "Pearl Jam Pulsions Vitales" (que vous pouvez retrouver ici) de notre ami Cyril Jégou, également chanteur/guitariste du groupe Rennais Reagann). Comment es-tu arrivé chez Camion Blanc? 

Léonel : Entre 2017 et 2019, j’ai organisé des soirées dites « Acharnistes » dans des bars parisiens. C’était des événements mêlant lectures d’auteurs underground, de musiciens, et de photographes. C’est là qu’une spectatrice m’a accosté. Nous avons parlé un bon moment et elle m’a appris qu’elle était directrice de collection chez Camion Blanc. C’est Faustine Sappa. Ça a tilté dans ma tête. Pour moi cet éditeur est culte. J’ai acheté le premier livre qu’ils ont publié au début des années 90. Faustine avait lu ma première version de la bio et elle avait beaucoup aimé. Je lui ai dit que j’avais récupéré les droits et qu’on pourrait en faire quelque chose à condition de tout remettre à jour. Le contrat était signé quelques semaines plus tard. 



RAN : Tu as co-écrit cette nouvelle partie en collaboration avec les membres du groupe et plus particulièrement avec Serge Teyssot-Gay. Cela a dû être un moment privilégié pour toi, non? 

Léonel : Quand j’ai commencé à réactualiser la bio, je me suis dit qu’elle n’avait plus beaucoup d’intérêt. J’avais déjà en tête une seconde partie, la première étant une mise à jour de la bio de 2008. Pour moi, ça ne prendrait que trois-quatre mois de travail. Ça m’a pris deux ans ! J’ai osé contacter Serge qui n’avait absolument plus envie de s’exprimer sur le sujet. J’ai exposé le projet, lui expliquant que je souhaitais parler de la vie artistique de chacun des anciens membres « post-mortem ». Nous avons beaucoup parlé au téléphone au préalable. Il a été rassuré par mes intentions et par ma façon de travailler. Il a pris la peine de lire l’un de mes livres, Datacenter, qu’il a adoré. La première interview, j’étais forcément un peu stressé, mais au bout d’une heure d’échange, c’est devenu naturel, un moment agréable entre deux personnes qui avaient des atomes crochus et un respect mutuel. Nous avons ensuite été très souvent au téléphone ensemble mais aussi des rencontres ont eu lieu après certains de ses concerts. C’est un type formidable. Mais je ne souffre pas d’un syndrome de Stockholm ! J’ai écrit librement, sans être consensuel. Je tiens à le préciser. 

RAN : Dans quel état d'esprit est-il actuellement par rapport à Noir Désir? 

Léonel : Serge a lu la bio et l’a vraiment appréciée. Je n’étais pas peu fier. Il m’a dit que le livre restituait bien la vérité de l’histoire du groupe et mettait en valeur, dans le chapitre qui lui est consacré, l’ensemble de ses projets actuels. Ce mec regarde devant. Ce sont les projets à venir qui l’intéresse si bien que Noir Désir, c’est pour lui une grande partie de son histoire, mais il regarde devant. 



RAN : Peu ou personne n'ose écrire de livre ou de bio sur ce groupe à la fin si tragique, il faut une sacrée paire de c******* pour écrire et publier une bio de cette qualité avec toutes les polémiques qui gravitent, malheureusement, autour de Bertrand Cantat et le groupe. Ecrire aujourd’hui un livre sur Noir Désir ne reviendrait-il pas à se coller une cible dans le dos? 

Léonel : A ceux qui me prennent pour leur cible, qu’ils ajustent bien leurs flèches et m’éliminent pour voir… Sérieusement, je pense qu’à l’heure d’une rétraction de la liberté de créer, de la liberté de s’exprimer, d’écrire et d’aller visiter les zones d’ombre, les fêlures, les tiraillements, les souterrains de l’Humanité, il ne faut pas lâcher. Camion Blanc est garant de cette liberté, et c’est pourquoi j’ai signé avec eux. Le problème n’est pas tant cette masse informe de moralistes et de petits juges sans titres, c’est une forme de soumission de certains circuits de diffusion des livres. Même si beaucoup jouent le jeu, des libraires ont refusé de mettre cette bio dans les rayonnages. Je peux comprendre la libération de la parole des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, mais quel rapport avec un livre consacré à un groupe ? Je le répète, il ne devrait pas y avoir de listes noires des livres édités. Un ouvrage qui ne respecte pas la vie privée, qui calomnie, qui incite à la haine, qui pousse au crime, c’est un ouvrage qui tombe sous le coup de la loi. Ce n’est absolument pas le cas de mon livre. Il contient, entre autres, un chapitre sur l’œuvre de Serge Teyssot-Gay, une œuvre colossale qu’il a réalisé en solo ou avec une multitude d’autres artistes. Est-il condamnable lui ? N’a-t-il pas le droit qu’on lise un livre qui le met en exergue. De même pour tous les autres membres. Sans exception. Je n’évite aucun sujet. 



RAN : As-tu été contacté ou remercié par Bertrand Cantat? Est-il au courant pour cette bio? 

Léonel : La bio lui a été envoyée par mon éditeur. Je n’ai pas eu de retour. 

RAN : On parle un peu musique? A quelle époque as-tu découvert Noir Désir ? Et comment ? 

Léonel : Honte à moi, mais j’étais très jeune, un ado boutonneux, j’ai entendu Noir Désir à la radio : « Aux sombres héros de l'amer ». Par la suite pourtant, bien que j’étais punk puis raver, j’étais attentif à leurs sorties d’album. Je les ai vus en 1991 en concert. Cantat était à fond, énergique, bondissant. J’ai toujours gardé ce concert en souvenir. Par la suite, c’est avec Tostaky que j’y suis revenu avant de m’en désintéresser jusqu’à leur dernier album que j’ai adoré (du moins une bonne moitié des morceaux). Si j’ai écrit une bio équilibrée, c’est aussi parce que je n’ai jamais été un fan pur et dur de ce groupe. J’aimais certains morceaux et ça s’arrêtait ça. J’avais tout de même trois de leurs albums dans ma discothèque perso. 

RAN : Quelle est ta période préférée du groupe, s’il y en a une bien sûr ?

Léonel : Comme je l’ai dit plus haut, c’est l’époque de Tostaky puis le dernier album qui sont pour moi les deux périodes-phare du groupe. Mais en écrivant la bio, je me suis  plongé dans des albums que j’avais zappés. Il y a des pépites tout au long de leur carrière en fait. 



RAN : Cantat a lancé Détroit, et s'est aussi lancé en solo avec son album « Amor Fati ». Comment trouves-tu son retour artistique? 

Léonel : Le projet Détroit est d’un très bon niveau mais Amor Fati est sans doute au-dessus. Il y a de la maturité, un lissage de ses paroles qui tend à les rendre plus profondes. J’ai trouvé cet album très bon même si pour moi, ça n’est pas ce que j’écoute tous les jours. 

RAN : Après avoir parlé de Post Mortem, on va parler un peu de toi. Tu vas lancer cette année ta propre maison d'édition, Burn Out. Peux-tu nous en parler ?

Léonel : Les éditions Burn-Out seront une structure associative. L’objective est de publier des auteurs plutôt underground et qui portent en eux et dans leurs textes cette sensation étrange que nous vivons une époque qui a des airs de fin des temps. Nous limiterons les publications à deux-trois livres par an et j’espère pouvoir porter cet état d’esprit lors de soirée Burn-Out organisées à Paris dans un premier temps. C’est Pascal Dandois, un écrivain et un dessinateur exceptionnel qui sera à l’honneur pour commencer. Concernant mes projets personnels, je suis à l’écriture d’un gros livre sur la musique, encore une fois, mais je n’en dirai pas plus pour l’instant. J’ai deux romans en cours d’écriture et un recueil de nouvelles à paraître. Et d’autres projets à gogo ! 


Léonel Houssam 


Merci Léonel d'avoir répondu à nos questions.




Retrouvez "Post Mortem" de Léonel Houssam, aux éditions du Camion Blanc, ici, au prix de 32€, pour 458 pages de bonheur.



Gian, mars 2020.