mercredi 16 octobre 2019

Album Review : "Ghosteen" de Nick Cave & The Bad Seeds

Credits Photo : © Rock Zone
Après 40 ans de carrière, Nick Cave émerge de nouveau avec l'un de ses albums les plus puissants à ce jour, une méditation complexe et sans fin sur la mortalité, la perte d'un être cher et sur le chagrin qui en découle.

Sur le sublime “Ghosteen” - le 1er album que Nick Cave ait intégralement écrit et enregistré depuis le décès de son fils Arthur en 2015 - l'Australien exprime son chagrin et égrène toutes les étapes du deuil, parfois comme s'il le faisait en temps réel. Son humeur oscille entre conformisme et dépravation. A travers la perte de son fils, le chanteur prétend comprendre les croyants qui ont pleuré la perte du Christ juste après sa crucifixion. Dans ce nouveau disque, Nick Cave s'applique donc à traiter de l'amitié et de l'amour sous toutes leurs formes. Il semble perdre la foi, mais se bat néanmoins désespérément pour surmonter cette épreuve. Marqué par les synthétiseurs, les pianos et les sonorités électroniques, cet album est tour à tour déchirant et réconfortant, comme si l'auditeur vivait lui aussi le cauchemar vécu par Nick Cave à l'annonce du décès d'Arthur.
Credits Photo : © Billboard
Dans les derniers vers de l'album, à la fin du dangereux et vénéneux “Hollywood”, le frontman semble au bord de l'effondrement nerveux et paraphrase même une célèbre parabole bouddhiste dans son fausset fracturé. « C’est un long chemin à parcourir pour retrouver la tranquillité d’esprit » répète-t-il à la fin du morceau, la tension de la ligne de basse et son ton blessé accentuant la froide ironie de cette conclusion. Néanmoins, la morale est claire : Nick Cave n’a pas été seul dans sa tristesse et vous ne le serez pas non plus le moment venu.
Credits Photo : © NME
Pour mémoire, son disque précédent “Skeleton Tree” est sorti à peine plus d’un an après la mort d’Arthur. Un disque magistral qui fait partie des meilleurs de sa discographie, qui utilisait le prisme de la mort pour traiter des choses importantes, et auquel le décès de son fils a conféré une certaine solennité nouvelle pour l'Australien. Quant à “Ghosteen”, il parle de l'accablement provoqué par la perte d'un proche et des conséquences que cela engendre. A cet instant, fou de chagrin, Nick Cave s'interroge sur son équilibre mental. Dans certains moments de l'opus, il semble presque dans le déni et s'interroge sur le caractère définitif du départ de son fils. Il se demande même : « pourquoi ne reviendrait-il pas dans le prochain train ? ». Pourtant, le frontman lutte lentement contre cet abîme existentiel. Il ne sublime certes pas la tragédie en triomphe mais il trouve néanmoins une forme de sérénité, en tentant de relativiser les choses et en se disant que de nombreuses familles sont confrontées à ce type de drame à un moment donné de leur existence. A ce titre, ce “Ghosteen” pourrait bien être le disque le plus poignant de la carrière de Nick Cave...
Credits Photo : © Mediaweek
Malgré plusieurs changements de styles musicaux durant sa carrière, l'Australien a toujours - ou presque - narré l'obscurité, la noirceur de la vie dans ses chansons, les alimentant des tragédies qu'il a lui-même vécue. C’est là que nous le retrouvons sur “Ghosteen”, oscillant entre désespoir et persévérance. Nick Cave a mystérieusement déclaré durant une récente interview que les chansons de la 1ère moitié de l'album sont « comme des enfants, tandis que le triptyque qui suit sonnent comme leurs parents ». Ces 3 derniers morceaux sont discursifs et bruts, détaillant l'intégralité de la palette émotionnelle provoquée par le chagrin. Si la piste-titre “Ghosteen” fait écho à l'émerveillement du chanteur d'avoir survécu à toutes ces épreuves, “Hollywood” - quant à elle - commence avec une rage fulgurante, Nick Cave cherchant à détruire tout ce qu'il y a de beau autour de lui, et cherchant surtout un responsable à cette funeste destinée. En fin de compte, il raconte son histoire avec une sagesse introspective plutôt bienvenue.
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Sur la piste d'ouverture “Spinning Song”, l'ancien leader de The Birthday Party semble se rendre compte que son art lui survivra, tandis que dans “Waiting For You”, le chanteur et son épouse - la mannequin et créatrice de mode Susie Bick - confrontent leurs points de vue. Cette dernière veut se confronter à la réalité, tandis qu'il se réfugie dans une sorte de mirage spirituel et religieux. De même, la magnifique “Bright Horses” dépeint un univers imaginaire où règne la terreur, où les chevaux traversent les villes en flammes. Nick Cave semble y chercher son salut, une hypothétique rédemption, et surtout un avenir moins sombre.
Credits Photo : © NME
A l'écoute de ce “Ghosteen”, vous aurez l'impression de voyager aux côtés de Nick Cave, fasciné(e)s par les synthétiseurs tentaculaires de Warren Ellis et charmés par des notes de piano élégiaques, comme autant de signaux envoyés depuis l'au-delà. Les Bad Seeds ont longtemps été un groupe de rock puissant, rôdant dans les recoins sombres du blues et du rock avant-gardiste. Dans cet opus, ils effectuent une nouvelle fois leur mue, s'adaptant totalement à la tonalité du récit de Nick Cave. Il s'agit probablement du disque le plus ésotérique de la carrière de Nick Cave, suspendu quelque part entre “Black Ships Ate The Sky” du groupe de musique expérimentale britannique Current 93 et ​​les paysages sonores chargés d'Harmonia, à ceci près que la charge émotionnelle contenue dans ce “Ghosteen” place chacune des vulnérabilités de Nick Cave au centre du disque. Il est à noter également que bien que passant un peu au second plan, la production est sophistiquée et subtile, et les choeurs ravissent et font écho aux textes ambitieux, comme - par exemple - lors de “Galleon Ship”.
Credits Photo : © Oor.nl
“Ghosteen” marque le 40ème anniversaire des débuts de Nick Cave. Pour les non-initiés, il peut sembler intimidant ou risqué de se hasarder à produire de nouvelles musiques après une telle carrière, particulièrement lorsque l'on sait que l'Australien est habitué à chanter les drames et la rudesse de la vie. Néanmoins, pas besoin d'être un docteur-ès Nick Cave & The Bad Seeds pour être pris aux tripes par l'écoute de ce “Ghosteen”, qui vous dévastera par son désespoir et vous élèvera spirituellement par son humanité. Vous devrez simplement avoir la capacité de souffrir et le désir de survivre pour prendre la mesure de cette oeuvre majeure...


La Note de Manu : 9/10
Pochette de l'album "Ghosteen" de Nick Cave & The Bad Seeds
“Ghosteen” de Nick Cave & The Bad Sees, LP 11 titres sorti le 04 octobre 2019 chez Ghosteen Ltd.

Tracklist :
1. Spinning Song (4:44)
2. Bright Horses (4:53)
3. Waiting For You (3:54)
4. Night Raid (5:08)
5. Sun Forest (6:46)
6. Galleon Ship (4:15)
7. Ghosteen Speaks (4:03)
8. Leviathan (4:48)
9. Ghosteen (12:11)
10. Fireflies (3:23)
11. Hollywood (14:12)

Credits Photo : © The Independent


Manu de RAN

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