jeudi 28 janvier 2021

Album Review : "Spare Ribs" de Sleaford Mods (Sortie le 15.01.2021)

Credits Photo : © Allasdair McLellan

Certain(e)s pourraient dire que dans les moments les plus sombres de notre histoire, nous avons toutes & tous envie d’un peu d'évasion. Mais ce n’est manifestement pas le cas du duo anglais Sleaford Mods. Et peut-être a-t-il raison… Ainsi, à grands coups de paroles scabreuses, d’invités triés sur le volet et d’une production très riche, le duo de Nottingham nous invite à réfléchir sur la situation mondiale actuelle dans son 6ème album, intitulé “Spare Ribs”.

Depuis “Austerity Dogs” en 2013, Sleaford Mods a construit son auditoire et fait son chemin sans se soucier des conventions ou des tendances. Sa musique est relativement simple, voire carrément simpliste pour certains de ses détracteurs : une ligne instrumentale discrète d’Andrew Fearn sur laquelle Jason Williamson vient poser son phrasé aussi marqué qu’énervé, soutenu par des textes toujours vindicatifs et riches.

Credits Photo : © The Guardian

Ce nouvel album “Spare Ribs”, sorti le 15 janvier dernier, a été enregistré en 3 semaines l’année dernière, entre les confinements successifs. « Nous sommes tous si fatigués… », chante Jason Williamson sur la piste d’ouverture expérimentale “The New Brick”, résumant ainsi le sentiment général dans la pandémie actuelle, qui occupe - bien évidemment - une place centrale dans ce disque. D’ailleurs, il semblerait que le titre de l’album ait été inspiré à Jason Williamson par le nombre important de décès lors de la première vague de coronavirus, celui-ci considérant les vies humaines comme - littéralement - « des côtes de rechange », « spare ribs » en anglais.

Credits Photo : © NME

UN DISQUE LUMINEUX & VARIE

Ceci dit, on pourrait s’imaginer que cet album va sombrer dans la morosité, mais il n’en est rien. Bien qu’enraciné dans la fureur et la monotonie du quotidien, “Spare Ribs” se révèle être le disque le plus lumineux et le plus varié de la carrière de Sleaford Mods. Le travail du beatmaker Andrew Fearn est souvent décrit à tort comme « minimaliste ». En réalité, celui-ci est largement sous-estimé car il crée des grooves complexes et immersifs que la plupart des sections rythmiques lui envieraient. Si vous souhaitez en avoir l’illustration, n’allez pas plus loin que le flux cyclique et gorgé de basse du single “Shortcummings”, sur lequel Jason Williamson prédit la chute du 1er Ministre britannique Boris Johnson, qu’il ne semble guère porter dans son coeur.


Certain(e)s vous diront que le style du duo de Nottingham est épuré - c’est en partie vrai - mais il est néanmoins d’une richesse désarmante dans ce disque. On retrouve une sorte de danse noueuse dans la piste titre, qui n’est pas sans rappeler le 1er album de LCD Soundsystem, tandis que “Nudge It” est un brûlot sévère dotés de riffs post-punk déchiquetés et de boucles hip-hop rebondissantes, le tout porté par le chant vrombissant et la grâce de la vocaliste Amy Taylor, par ailleurs chanteuse du superbe groupe punk australien Amyl & The Sniffers. Cette dernière insuffle une nouvelle vie dans le monde de Sleaford Mods, à l’instar de leur compatriote Billy Nomates, qui prête son parlé-chanté frondeur à l'électro gothique de “Mork N Mindy”, sorte de conte traitant de l’ennui et l’aliénation provoqués par une vie triste en banlieue.


Le stress provoqué par la perspective de nouveaux confinements se ressent dans l’anxieux et claustrophobe “Top Room”, mais aussi dans ce qui est probablement la pièce maîtresse de cet album étrange : “Out There”. Ce dernier est une peinture tragi-comique de la situation actuelle où nous sommes pris en étau entre la pandémie d’une part et les théories conspirationnistes d’autre part.

Credits Photo : © Simon Parfrement

DES DIATRIBES VIRULENTES CONTRE BORIS JOHNSON

A travers les diatribes plus ou moins ironiques de titres comme “Shortcummings”, “All Day Ticket”, “Out There” ou “Elocution”, les élites sont violemment clouées au pilori du fait des conséquences dévastatrices de leur politique auto-centrée : Brexit, immigration, élitisme économique et culturel... La pandémie n'ayant fait qu'exacerber ces positions, les titres en sont d'autant plus furieux. Puis, comme un havre de paix, “Fishcakes” clôture cet effort avec tendresse, le vocaliste se raccrochant à l’innocence de l’enfance comme bouée de sauvetage dans le naufrage actuel de la Grande-Bretagne, entre Brexit et COVID. Bref, vous l’aurez compris, l’humour de Jason Williamson est au top de sa forme tout au long de ce disque, ce qui nous donne une oeuvre empreinte de réalité avec toutefois une saveur enivrante.


La relégation de la culture au rang de pièce non essentielle de nos sociétés a également accentué la fougue, la défiance et la colère du duo envers le système en place, ce qui les amène musicalement à revenir à un minimalisme qui sied magnifiquement aux textes ciselés de Jason Williamson, ainsi qu’aux beats punk vénéneux d’Andrew Fearn. Les fans convaincus comme les convertis récents trouveront leur plaisir dans ce disque, car “Spare Ribs” est l’un des premiers albums vraiment géniaux de cette année 2021, avec le “Drunk Tank Pink” de Shame... et sans doute le meilleur disque de la carrière de Sleaford Mods. En réalité, la colère leur va si bien...


La Note de Manu : 9/10

Pochette de l'album "Spare Ribs" de Sleaford Mods (sortie le 15.01.2021)

“Spare Ribs” de Sleaford Mods, LP 13 titres sorti le 15 janvier 2021 chez Rough Trade Records

Tracklist :

1. The New Brick (0:44)

2. Shortcummings (3:35)

3. Nudge It (3:44)

4. Elocution (2:58)

5. Out There (3:57)

6. Glimpses (2:43)

7. Top Room (3:50)

8. Mork N Mindy (3:24)

9. Spare Ribs (3:53)

10. All Day Ticket (3:45)

11. Thick Ear (3:05)

12. I Don’t Rate You (4:04)

13. Fishcakes (3:09)



Credits Photo : © Metro News UK


*NDLR : Chronique de “Drunk Tank Pink” de Shame disponible ici => "Drunk Tank Pink" par Manu de RAN


Manu de RAN

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