mercredi 24 juillet 2019

Album Review : "The Atlas Underground" de Tom Morello (Sortie le 12.10.2018)

Credits Photo : © The Australian

Dans le monde actuel où certain(e)s artistes sont prêt(e)s à toutes les surenchères idéologiques ou médiatiques pour exister, il demeure toutefois quelques soldats de l'impossible, quelques seigneurs du riff, qui partent en croisade contre le leitmotiv contemporain indiquant que “le rock est mort”. Tom Morello, ancien guitar hero du groupe mythique Rage Against The Machine, est de ceux-là, sublime le rock et chasse néanmoins sur de nouveaux territoires sonores avec son 1er album solo “The Atlas Underground”. Le rock est mort ? Théorie d'une absurdité totale et d'une bêtise sans nom ! Tom Morello en est l’un des meilleurs exemples.

En effet, loin de cette agonie annoncée, le rock, le métal et pratiquement toutes les formes de musique dite “brutale” sont entrés dans une nouvelle ère explosive où les instruments traditionnels et la technologie se combinent pour aboutir à des résultats exaltants et ce, grâce à des créatifs visionnaires comme Monsieur Tom Morello. L'ancien guitariste de Rage Against The Machine a créé une musique audacieuse, d'un lyrisme enflammé et d'une passion inextinguible luttant contre la régression du monde actuel, que ce soit du point de vue idéologique ou musical. Et fidèle à son habitude, Tom Morello est impossible à cerner…

Credits Photo : © Chicago Reader

Après avoir mis de côté ses ambitions de “rock de stade” avec Audioslave, effondré par la tournure que prend la société américaine, il a relancé l’insurrection militante RATM en fondant un nouveau super groupe de rap-metal - les Prophets Of Rage - en compagnie de ses anciens compagnons de Rage Against The Machine Tim Commerford & Brad Wilk, de B-Real de Cypress Hill, ainsi que de Chuck D & DJ Lord de Public Enemy. Tom Morello a également collaboré avec Linkin Park, Anti-Flag, Rise Against, Bruce Springsteen et d'autres. Inutile de vous dire qu'il n'a pas chômé et qu'il n'a donc guère eu le temps de s'ennuyer... Au-delà de ses riffs reconnaissables entre mille, ce qui unit ces différents projets, c’est un refus agressif de faire des compromissions dans son art.

Soyez rassuré(e)s, Tom Morello rugit toujours. Mais il gagnerait à mettre parfois de l'huile dans les rouages de sa belle mécanique. Des albums de rock - et des bons ! -, il en a fait entre 1992 et 2000. Ils avaient un son extraordinaire, chargés d'une fureur vertueuse et d'un parti pris politique très éclairé. Ainsi, Tom Morello a gagné le droit d'expérimenter un peu, de s'éloigner des territoires qu'il maîtrise si bien. Ce qui nous amène assez logiquement au nouveau disque du Night Watchman “The Atlas Underground”, constitué d’une série de collaborations avec des noms à la fois nouveaux et bien établis - la plupart d’entre eux évoluant dans des milieux plus hip-hop et EDM -, et véritable vitrine clinquante et fastueuse pour Tom Morello et ses petits camarades du monde du hip-hop, de l'EDM - Electronic Dance Music - et de la pop, parmi lesquels Marcus Mumford, Big Boi, Gary Clark Jr, Steve Aoki et les légendes GZA & RZA du Wu-Tang Clan.

Credits Photo : © Exactmusic.fr

Au premier abord, cet album ressemble à une multitude de chansons pop ultra-polies. Cependant, au fur et à mesure des écoutes, vous parviendrez à déceler une profondeur et une diversité assez étonnante. Le premier instrumental - “Battle Sirens” - est une excellente introduction non seulement à “The Atlas Underground”, mais également à la vision musicale de Tom Morello, et commence par un riff percutant façon Rage Against The Machine. Avec ce titre, le guitariste américain fusionne le hard rock façon Black Sabbath et Randy Rhoads avec de l’EDM et des effets numériques. Lorsque les synthés entrent en scène, vous comprenez instantanément que nous sommes loin du rap-metal des années 90 qui a fait la réputation de Tom Morello & Co. Ensuite, “Rabbit’s Revenge” est une chanson qui m’a vraiment attiré. Elle est interprétée en collaboration avec la légende d’Outkast Big Boi, Killer Mike de Run The Jewels et Bassnectar. Chaque partie de cette piste m'a immédiatement accroché, du gros riff qui sous-tend toute la chanson aux couplets de Big Boi et de Killer Mike. Ce morceau est percutant et agressif, notamment du fait de leur débit fantastique. Couplez les batteries électroniques agressives à la basse de synthé de Bassnectar et aux riffs chargés de groove de Tom Morello et vous obtenez ce morceau impressionnant. Bref, “Rabbit's Revenge” tresse le rap, le rock, et la musique électronique avec une facilité qui va et vient tout au long du projet “The Atlas Underground”.

Credits Photo : © Loudwire.com

Sur “Every Step That I Take”, le guitariste new-yorkais s’oriente vers l’électro-pop dans une production brillante, en collaboration avec Portugal. The Man. Cette piste est symptomatique de l’évolution du rock à la fin de cette décennie, avec des morceaux comme “Thunder” d'Imagine Dragons et “Walk On Water” de Thirty Seconds To Mars. Leurs racines sont blues, mais leurs sons se diversifient dans le hip-hop et la musique dance. “Every Step That I Take” n’est pas une chanson particulièrement originale, mais c’est tout de même - très - accrocheur. S’éloignant du hip-hop, “Every Step That I Take” sonne comme un hommage à la mémoire de Chris Cornell. “Find Another Way” trouve un équilibre prudent entre le mélodisme rock - avec un solo mélancolique rappelant “Like A Stone” d’Audioslave - et l'esthétique raffinée de la dance music, avec une voix accrocheuse, envoûtante mais laborieuse de Marcus Mumford, et une production orageuse de Josh Carter de Phantogram. Quant à “One Nation”, cette piste - qui met en vedette le producteur d’EDM Pretty Lights - pourrait être un point culminant de l’opus mais se révèle au final assez curieuse. Le riff de guitare de Morello, évoquant le tube mythique de Rage Against The Machine “The Battle Of Los Angeles”, est contrebalancé par un intermède jazzy, ce qui peut perturber l’auditeur.

Chris Cornell & Tom Morello - Credits Photo : © RTBF

Parmi les temps forts, citons le très groovy “Lucky One” avec le chanteur K.Flay, canalisant la sensualité embrumée de Wolf Alice et délivrant un choeur incroyablement addictif. Quand Tom Morello et ses amis donnent à leurs morceaux la place pour respirer, ils survolent les débats. À noter également, “How Long”, un délice sucré et palpitant mettant en vedette Steve Aoki et Tim McIlrath de Rise Against, ainsi que “Vigilante Nocturno”, un instrumental original qui rappelle la collaboration de Tom Morello avec The Crystal Method en 2001. Quant à “Where It’s At Ain’t What It Is”, c’est un savant mélange de voix bluesy de Gary Clark Jr. et de musique house accrocheuse. Mais la meilleure piste de cet opus est de loin “Roadrunner”, avec Leikeli47. Plus que toute autre chose, elle caractérise ce que j'aime le plus dans cet album. L'ouverture vous donne un uppercut en pleine tronche avec un rap agressif combiné à un riff de basse, et vous délecte tout au long de la chanson. “Roadrunner” est l'un des - rares - moments où Morello exprime le son et la fureur qui ont fait la renommée de Rage Against the Machine. L’alchimie entre Tom Morello et Zack de la Rocha - la voix de RATM - était évidente et vous pouvez retrouver cela avec certains rappeurs, qui se mettent au diapason de Zach sur “The Atlas Underground”.

Enfin, la dernière piste “Lead Poisoning” est une collaboration avec les légendes du Wu-Tang Clan GZA et RZA et se révèle être un bon mélange de moments EDM et hip-hop, sans que l'un ne submerge l'autre ou ne prenne le dessus. Mais je pense que ce qui fait la différence, c’est l’émotion brute qui se cache derrière. Des synthés mélodiques aux riffs de guitare, en passant par les paroles, cette piste vous frappe en plein coeur.

Credits Photo : © Zack De La Rocha & Tom Morello - Credits Photo : © Loudersound.com

En définitive, “The Atlas Underground” sonne comme l’œuvre d’un renégat du rock qui se lance dans de nouvelles explorations musicales à l’aube de la 3ème décennie de sa glorieuse carrière, et ne semble pas disposé à se reposer sur ses lauriers. Certes, sur un album aussi expérimental que celui-ci, tout ne passera pas forcément comme une lettre à la poste. Toutefois, ces petites faiblesses ne prennent à aucun moment le dessus et ce disque s’avère aussi engagé socialement que musicalement novateur. Le plus gros risque ici n’est pas que le public n’aime pas cet album. C’est qu'il passe à côté tout simplement, tant cet opus diffère du travail habituel de Tom Morello. Et pour un provocateur comme lui, l’indifférence est bien la pire des réponses. Ce serait vraiment ballot tant la plupart de ces chansons sont bien conçues et accrocheuses. Tous les fans des projets passés de Tom Morello ou celles & ceux qui ont un esprit suffisamment ouvert pour absorber de nouvelles idées et élargir leur vision du monde musical trouveront ici un riche trésor de nouveaux sons et textures. Evacuez tous vos préjugés sur Tom Morello, et jetez-vous à corps perdu dans l'écoute de “The Atlas Underground” ! C'est le meilleur conseil que je puisse vous prodiguer...


La Note de Manu : 8.5/10

Pochette de l'album "The Atlas Underground" de Tom Morello (Sortie le 12.10.2018)

“The Atlas Underground” de Tom Morello, LP 12 titres sorti le 12 octobre 2018 chez Mom + Pop Music / Sony Music

Tracklist :
1. Battle Sirens [Feat. Knife Party] (4:03)
2. Rabbit's Revenge [Feat. Bassnectar, Big Boi & Killer Mike] (2:59)
3. Every Step That I Take [Feat. Portugal. The Man & Whethan] (3:42)
4. We Don't Need You [Feat. Vic Mensa] (3:04)
5. Find Another Way [Feat. Marcus Mumford] (4:38)
6. How Long [Feat. Steve Aoki & Tim McIlrath] (4:23)
7. Lucky One [Feat. K.Flay] (3:33)
8. One Nation [Feat. Pretty Lights] (4:16)
9. Vigilante Nocturno [Feat. Carl Restivo] (3:30)
10. Where It's At Ain't What It Is [Feat. Gary Clark Jr. & Nico Stadi] (3:38)
11. Roadrunner [Feat. Leikeli47] (2:49)
12. Lead Poisoning [Feat. GZA, RZA & Herobust] (4:05)

Credits Photo : © Heavy Mag
Credits Photo : © Upset Magazine

Manu de RAN

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